Chercheurs
Thomas Breda
Économiste du travail
CNRS, École d’économie de Paris
Clotilde Napp
Directrice de recherche
CNRS, Université Paris Dauphine-PSL
Projet de recherche
Les chercheurs Thomas Breda et Clotilde Napp démontrent que ce sont les différences d’avantage comparatif qui expliqueraient la moindre présence des filles dans les filières scientifiques.
Si les filles ont désormais de meilleurs parcours scolaires que les garçons, obtenant de meilleurs résultats au brevet ou au baccalauréat, et poursuivant davantage des études supérieures, elles n’en demeurent pas moins fortement sous-représentées dans les domaines reliés aux mathématiques. Elles représentent, par exemple, moins d’un tiers des effectifs des écoles d’ingénieurs. Or, ce sont souvent ces domaines qui mènent aux professions les mieux rémunérées, dans les secteurs en plus forte croissance et les moins sujets à des écarts de salaires entre femmes et hommes. Pourtant, les différences de niveau en mathématiques entre filles et garçons sont désormais très faibles dans la plupart des pays et ne permettent pas d’expliquer les larges différences de choix d’éducation et de carrière entre les sexes. Les chercheurs en sciences sociales se sont donc tournés vers d’autres explications telles que des différences de confiance en soi, de préférence ou des discriminations.
Dans un article paru dans la revue PNAS, Thomas Breda et Clotilde Napp éclairent le débat sur les causes de la ségrégation de genre entre métiers d’un jour nouveau. Ils reconsidèrent le rôle des per-formances scolaires et montrent que la prise en compte, non seulement des résultats en mathéma-tiques, mais également de ceux en lettres (ou lecture) permet de rendre compte d’une large part des écarts d’orientation entre filles et garçons.
De faibles différences de performance
Pour cela, ils utilisent les données individuelles de l’enquête internationale PISA menée en 2012. L’étude des performances en mathématiques et en lettres sur un échantillon de 300 000 élèves de 15 ans dans 64 pays (les 35 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques OCDE et 29 pays partenaires) révèle que les garçons restent légèrement meilleurs que les filles en mathématiques, tandis que les filles sont bien meilleures en lettres. L’écart en lettres en faveur des filles est trois fois supérieur à l’écart en mathématiques en faveur des garçons. Ces différences donnent aux filles par rapport aux garçons un véritable avantage comparatif pour les disciplines littéraires : deux tiers d’entre elles sont meilleures en lettres qu’en mathématiques, alors que c’est le cas pour seulement un tiers des garçons.
On retrouve aussi dans l’enquête PISA que les garçons ont davantage l’intention que les filles d’étudier les mathématiques, avec des écarts observés très variables d’un pays à l’autre. On constate que les faibles différences de performance en mathématiques ne peuvent expliquer qu’environ 10 % de ces écarts d’intention.
Des intentions d’orientation très différentes
En revanche, les résultats sont radicalement différents dès lors que l’on essaie d’expliquer les intentions d’orientation et de carrière par l’avantage comparatif pour les maths plutôt que par le seul niveau en maths. La prise en compte de l’avantage comparatif permet en effet de rendre compte de 75 % des écarts entre les sexes en termes d’intentions d’étudier les mathématiques sur l’ensemble des 64 pays étudiés. Cela signifie que si l’on se concentre sur les élèves ayant le même écart entre notes obtenues en mathématiques et notes obtenues en français, la différence entre filles et garçons en termes d’intention d’étudier les mathématiques diminue de 75 %. Les filles sont majoritairement meilleures en lettres qu’en mathématiques et à l’heure de faire des choix, elles s’identifieraient comme davantage littéraires que scientifiques et leur avantage comparatif en lettres les amènerait à délaisser les filières plus mathématiques.
L’enquête PISA 2012 permet aussi de mesurer l’intérêt déclaré des élèves pour les mathématiques ou leur confiance en soi dans cette matière. Ces variables permettent beaucoup moins d’expliquer les écarts d’orientation entre filles et garçons que l’avantage comparatif.
Améliorer l’information à l’heure du choix
De plus, on observe le même phénomène que lorsqu’on cherche à expliquer les choix d’orientation : les différences de niveau en mathématiques expliquent très peu les différences d’intérêt déclaré ou de confiance en soi en mathématiques entre filles et garçons tandis que les différences d’avantage comparatif permettent d’en rendre compte presque intégralement. Cela montre que la confiance en soi ou l’intérêt dans un domaine s’établit en comparant ses performances dans les différents domaines : à niveau égal en mathématiques le meilleur niveau des filles en lettres nuit à la façon dont elles se perçoivent en mathématiques, et notamment à leur confiance en soi dans cette discipline.
Ce rôle important joué par les différences entre les sexes de performances scolaires et d’avantage comparatif à 15 ans amène à s’interroger sur leur origine. Dans la lignée d’un précédent article dans la revue Science, les chercheurs suggèrent qu’elles sont probablement largement d’origine culturelle, déterminées par des processus de socialisation antérieurs, dans le milieu familial et à l’école. Ils observent par exemple que les écarts de performance entre les sexes sont plus élevés dans les pays dans lesquels les stéréotypes associant les mathématiques aux garçons sont plus forts et remarquent également que l’organisation des systèmes éducatifs peut réduire ces écarts.
Pour favoriser une représentation plus égale des filles et des garçons dans les filières mathématiques, limiter les différences d’avantage comparatif, par exemple en essayant d’améliorer le niveau en français des garçons, devrait être efficace. Une autre option consisterait à améliorer l’information des élèves aux moments de faire des choix, pour les inciter à moins se reposer sur l’avantage comparatif et davantage sur les perspectives de carrière. Ces interventions seraient bien sûr à mener en complément de celles destinées à limiter les stéréotypes de genre et leur impact, dès le plus jeune âge, sur les parcours académiques des filles et des garçons.