Thomas Breda, Elyès Jouini et Clotilde Napp (Science Mars 2018)
Aux évaluations nationales de CE2 et de 6e, au brevet ou au baccalauréat, les filles obtiennent de meilleurs résultats que les garçons. Elles sont plus nombreuses à se voir attribuer des mentions au baccalauréat et ont des parcours scolaires plus aisés et plus fluides : elles redoublent moins, sont moins susceptibles de décrocher du système scolaire, sont plus nombreuses à faire des études supérieures, font des études plus longues. Mais ces résultats, manifestement à leur avantage, n’empêchent pas leur sous-représentation dans les filières scientifiques. Or ce sont ces filières qui mènent assez largement aux professions les mieux rémunérées et aux postes les plus hauts placés. Les filles sont moins représentées en classes préparatoires scientifiques et en écoles d’ingénieur. Les doctorants en sciences sont, à une écrasante majorité, des hommes. Plus on monte dans l’échelle du prestige et de l’expertise, moins les femmes sont représentées dans les domaines scientifiques.
A l’échelle de l’OCDE, les enquêtes PISA, Programme international pour le suivi des acquis, révèlent que si l’écart de performance moyenne en mathématiques à l’âge de 15 ans entre les sexes est bien en train de se réduire, il n’en est rien lorsque l’on s’intéresse aux élèves qui réussissent le mieux : il y a, en moyenne, 40 % de filles parmi les 10 % des meilleurs élèves – soit ceux qui sont susceptibles de poursuivre des études et des carrières de haut niveau.
Cette proportion de 40 % de filles se retrouve également dans les 10 % des meilleurs en sciences. Elle est en revanche inversée – 40 % de garçons – en ce qui concerne les évaluations littéraires. Les garçons auraient-ils un « esprit » plus scientifique et les filles un « esprit » plus littéraire ?
En analysant les données de cinq enquêtes PISA successives, il apparaît que la situation est différente selon les pays. Ceux dans lesquels les filles réussissent moins bien en maths ou en sciences sont également ceux dans lesquels elles réussissent moins bien en lecture. Nous montrons que plus un pays est inégalitaire en termes économiques, plus la performance des filles par rapport aux garçons se détériore.
Plus que les inégalités liées au genre, ce sont les inégalités liées à la société en général qui expliquent le mieux la sous-performance des filles. Ce sont ainsi les inégalités de revenus (indice de Gini) ou des mesures d’inégalités liées au système éducatif, mais a priori indépendantes du genre, qui expliquent le mieux la sous-représentation des filles parmi les meilleurs élèves en maths. Une seule de ces variables permet d’expliquer jusqu’à 30 % des différences entre pays de l’écart de performance entre filles et garçons, et la conjonction de trois d’entre elles peut expliquer jusqu’à 60 % de ces différences.
Parmi les mesures d’inégalité liées au système éducatif les plus pertinentes, figurent la proportion d’élèves issus de milieux socio-économiques et culturels défavorisés parmi les élèves les plus performants, ainsi que les disparités de niveau socio-économique moyen entre écoles.
Il apparaît que cette relation entre inégalités sociales et performance relative des filles en maths peut être expliquée par des facteurs institutionnels : les pays ayant les institutions les plus à même de réduire les inégalités économiques (fiscalité importante, salaire minimum ou encore forte syndicalisation) sont également ceux dans lesquels les filles réussissent le mieux en maths par rapport aux garçons.
De même, des caractéristiques institutionnelles des systèmes éducatifs connues pour être des déterminants de l’inclusion ou de l’équité, comme le taux de redoublement ou la qualité du système éducatif, sont également reliées à la performance relative des filles.
Ces résultats suggèrent que l’écart entre les sexes en maths (ou en sciences) est une forme d’inégalité sociale. Cet écart est façonné par les normes et les institutions des pays susceptibles d’atténuer les effets des préjugés contre les groupes sociaux qui ont été historiquement considérés comme ayant un statut inférieur.
Plus un pays est inégalitaire, plus la différence de statut entre les garçons et les filles se traduit par des différences réelles de résultats scolaires, de la même manière que plus un pays est inégalitaire, plus la proportion de personnes issues de milieux économiquement défavorisés est faible parmi les élèves les plus performants.
Les pays qui sont généralement plus égalitaires ont tendance à réduire plusieurs formes d’inégalités, y compris l’écart entre les sexes en maths et en sciences. De manière dynamique, nous montrons ainsi que c’est dans les pays où les inégalités de revenus augmentent le moins que les écarts en maths ont évolué le plus en faveur des filles.
Conformément à cette hypothèse d’un lien entre l’écart entre les sexes dans les performances en mathématiques et la façon dont les pays perpétuent ou réduisent les différences initiales de statut, nous constatons également une forte corrélation entre cet écart et des indicateurs de mobilité sociale ou économique d’une génération à la suivante au sein d’une même famille.
Pour favoriser la performance des filles en maths ou faciliter leur accès à certaines filières d’excellence, s’attaquer aux stéréotypes et aux normes de genre pourrait ne pas être suffisant. En complément, des politiques susceptibles de rendre le système scolaire plus juste et inclusif peuvent être bénéfiques aux filles, en plus de bénéficier bien sûr aux élèves des milieux les plus défavorisés. La France étant la championne du monde développé en matière d’inégalités sociales à l’école (toujours d’après PISA).