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À quoi sert la régulation ? L’exemple de l’aménagement numérique du territoire

9 mn - Le 01 janvier 2019

Travaillant sur la régulation des réseaux à l’Université Paris-Dauphine lors de la mise en place des institutions créées à cette fin, j’avais étudié comment la régulation des télécommunications devait permettre une ouverture effective de ce secteur à la concurrence.

Mais cette mission n’est bien sûr pas exclusive d’autres objectifs - complémentaires et non pas antagonistes - en ce que leur but final est toujours de stimuler l’innovation et l’investissement. Ainsi, depuis 2004, pas moins de cinq lois ont mis l’accent sur l’aménagement numérique du territoire. Comme membre aujourd’hui du collège de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), je constate que les élus locaux ne manquent jamais, lors des Commissions régionales de stratégie numérique auxquelles l’Arcep participe régulièrement, de nous rappeler avec force ce nouvel objectif qui figure parmi ceux assignés au régulateur par la loi.

Le numérique est en effet à la fois un défi et une chance pour les zones rurales. Un défi en ce que la fracture territoriale en matière numérique pourrait accroître l’isolement des territoires les moins bien connectés. L’Arcep avait mis l’accent dès 2017 sur cette problématique dans le cadre du « Baromètre du numérique » qu’elle fait réaliser chaque année avec le Conseil général de l’économie et l’Agence du numérique. Il en ressortait que la fracture territoriale est la première des inégalités, qui peut être mise en corrélation avec d’autres, telles que des revenus plus faibles en moyenne dans les zones rurales que dans le reste du territoire, moins de jeunes, moins de diplômés souvent. Pourtant le numérique peut être une chance car il permet d’abolir les distances, en permettant notamment d’attirer – ou de retenir – des entreprises dans les zones rurales, donc en y suscitant plus de développement économique. Des solutions numériques (télémédecine, télétravail, etc.) peuvent également retenir les plus jeunes et les plus diplômés tout en permettant de bénéficier d’une meilleure qualité de vie. Mais, pour permettre tous ces usages, il faut des réseaux qui desservent les zones rurales avec un débit suffisant !

Le constat s’impose donc qu’il faut impérativement améliorer tant la qualité du réseau mobile que la connectivité fixe dans les zones rurales. C’est d’abord un objectif de politique publique défini au plus haut niveau de l’État, en concertation avec les collectivités territoriales. Le régulateur peut et doit cependant y contribuer, comme le veut la loi, sans rien manquer à l’indépendance et à la légitimité que lui confère son expertise technique et économique. Les nouveaux instruments qu’il a développés depuis sa revue stratégique de 2015, et qui mettent l’accent sur la régulation par la donnée, se révèlent extrêmement efficaces à cette fin. La construction de données agrégées, vérifiées et publiées sous un format pratique pour chaque utilisateur, en particulier sous forme de cartes, peut en effet avoir une portée incitative extraordinairement puissante, en ce qu’elle permet aux consommateurs de disposer d’informations non plus seulement sur les prix mais aussi sur la couverture et la qualité de service assurée par chaque opérateur, et cela aussi bien pour la connectivité fixe que mobile. Ces outils permettent au régulateur de mieux cibler l’usage qu’il peut faire dans un deuxième temps de sa gamme d’instruments classiques et plus contraignants, qui s’attachent à son rôle de gendarme des télécoms.

Les cartes de couverture mobile ont longtemps été binaires, tout un bourg étant considéré comme couvert s’il était possible de passer un appel en extérieur et pas trop loin de la mairie. La loi dite croissance et activité du 6 août 2015 a donné compétence à l’Arcep pour exiger des opérateurs des données beaucoup plus fines, avec différents niveaux de couverture, selon qu’elle est limitée (probabilité de pouvoir passer un appel seulement à l’extérieur des bâtiments), bonne (possibilité de passer un appel parfois à l’intérieur d’un bâtiment), et enfin très bonne. En outre, cette loi a permis à l’Arcep de faire, aux frais des opérateurs, tout un travail de mesures et de vérification de la fiabilité des cartes. Le résultat de cet important travail est disponible depuis octobre 2017 pour la métropole (et le sera pour l’outre-mer à l’été 2018) sur le site de l’Arcep à travers l’application monreseaumobile.fr, qui permet de zoomer sur telle commune, telle rue ou tel hameau, et de constater qui couvre ou ne couvre pas, et avec quelle qualité. Cela a provoqué un choc de transparence. Alors que, jusqu’alors, à peu près tout le territoire semblait uniformément couvert, avec quelques taches blanches ponctuelles en montagne, la situation apparaît dorénavant beaucoup plus contrastée : environ 5 % du territoire n’est bien couvert par aucun opérateur et 20 % du territoire, où résident environ 1,5 million de personnes, est en zone grise, en ce sens qu’il est bien couvert par certains opérateurs mais pas par d’autres. Ces données enrichies sur la couverture mobile du territoire ont ainsi ouvert la voie à un ample débat sur les moyens d’y remédier.

Dès janvier 2018, le gouvernement a annoncé être parvenu à un accord avec les quatre grands opérateurs par lequel l’État renonce à certaines rentrées financières à condition que ces derniers investissent plus que ces sommes dans une amélioration forte et rapide de la couverture du territoire. Cet accord, dit New Deal, est beaucoup plus ambitieux que les anciens programmes « zones blanches », qui ne s’appliquaient pas aux zones grises et ne suffisaient pas à garantir une bonne couverture là où les collectivités locales l’estiment nécessaire. Le New Deal comporte quant à lui d’abord des engagements généraux notamment de couverture en 4G -d’ici fin 2020- de tous les sites existants et en outre de 55.000 kms d’axes routiers, ainsi qu’une offre généralisée de solution de couverture à l’intérieur des bâtiments. Il y ajoute des dispositifs ciblés, avec 5.000 zones supplémentaires à équiper par chaque opérateur, choisies en concertation avec les collectivités locales, avec une forte incitation pour les opérateurs à mutualiser ces équipements. Si les zones habitées seront visées en priorité, le dispositif pourra aussi s’appliquer à des zones non habitées (touristiques par exemple) selon les choix faits par les collectivités territoriales.

C’est alors que les instruments classiques de la régulation doivent prendre le relais. Les engagements pris par les opérateurs ont en effet vocation à être inscrits dans les autorisations d’utilisation des fréquences qui leur sont délivrées et seront donc juridiquement contraignants pour ces derniers. L’Arcep assurera le suivi de ces déploiements à travers un tableau de bord qui sera rendu public. Et elle pourra utiliser, si besoin est, ses pouvoirs d’enquête et de sanction, eux-mêmes récemment renforcés par la loi, à l’égard du ou des opérateurs qui y manqueraient.

Pour la connectivité fixe, il faut espérer que les nouvelles cartes de couverture disponibles fin 2018 auront un impact similaire. L’Arcep a certes mis en place depuis longtemps un observatoire rendant compte des évolutions des déploiements et des abonnements de la couverture fixe haut et très haut débit. Les nouvelles cartes marqueront cependant un tournant en ce qu’elles devront permettre à chaque utilisateur d’entrer sa propre adresse pour savoir quels sont les services offerts par les différents opérateurs en ce lieu précis, avec quelle technologie, en lui permettant d’obtenir quel débit (au moins minimal). Ces données seront fournies non seulement au présent mais aussi au futur, en fonction des engagements pris par les opérateurs sur leurs calendriers de déploiement notamment de la fibre optique.

Là encore, cette transparence doit permettre d’enclencher un cercle vertueux : les consommateurs pourront alors faire des choix en fonction d’autres paramètres que le seul prix, ce qui permettra une monétisation de l’investissement, qui à son tour devrait en être stimulé. C’est d’autant plus nécessaire que le constat fait par l’Arcep dès l’automne 2017 dans un avis rendu au Sénat, au vu des données rassemblées dans son observatoire, était que les opérateurs devaient très fortement accélérer leurs déploiements de fibre optique au regard des annonces publiques d’un très haut débit pour tous en 2022. La fibre optique a en effet l’avantage essentiel de ce que le débit n’y dépend pas, à l’inverse du cuivre, de la distance entre tel local et le répartiteur. En apportant un débit équivalent en habitat dispersé autant qu’urbain, cette technologie est donc particulièrement adaptée pour remédier à la fracture territoriale en matière numérique.

Dans le prolongement de la régulation par la donnée, les outils classiques de la régulation gardent ici aussi toute leur utilité : l’Arcep jouera, si nécessaire, son rôle traditionnel de gendarme des télécoms en particulier si les deux plus grands opérateurs privés venaient à manquer aux engagements qu’ils viennent de prendre sous une forme juridiquement contraignante pour la couverture en fibre optique de 3.500 communes péri-urbaines ou rurales d’ici fin 2020.

En outre, pour les territoires les plus ruraux, l’Arcep joue un rôle de facilitateur pour les déploiements de réseaux d’initiative publique de fibre optique. Pour ceux de ces territoires qui ne pourront bénéficier de solutions filaires dans un délai satisfaisant, l’Arcep les aide à mettre en place des solutions de THD radio là où, à titre transitoire, elles apparaissent nécessaires. Ainsi, après une consultation publique sur la bande de fréquences pouvant être utilisée à cet effet, l’Arcep a ouvert fin 2017 un guichet permettant l’attribution de fréquences 3,5 MHz. Les premières autorisations d’utilisation de fréquences ont alors pu être délivrées sans délai. Mais il faut que les collectivités territoriales aillent vite car ce guichet n’est ouvert que jusqu’à fin 2019, ces fréquences ayant vocation ensuite à être utilisées pour la 5 G.

L’aménagement numérique du territoire est en effet une course de vitesse tant la consommation de data augmente de façon exponentielle au fur et à mesure que les usages se développent. La régulation des réseaux doit donc s’adapter aussi vite que les usages numériques pour être pertinente. Ce n’est qu’à cette condition que le numérique pourra vraiment être une chance sur tout le territoire. En l’état, cela reste un défi. Au régulateur de savoir y répondre en liaison avec les opérateurs, les utilisateurs et les pouvoirs publics. Son indépendance est à cet égard un gage d’expertise comme architecte et gardien de ces infrastructures de liberté que sont les réseaux de communication.

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