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Entreprendre et réduire les risques sur son patrimoine privé

Publié dans Géopolitique, Droit, Société 9 mn - Le 01 janvier 2018

50 ans de la Recherche

• Traditionnellement, le patrimoine professionnel permet de constituer, de consolider, d’accroître le patrimoine privé. À l’inverse, le patrimoine privé peut être rudement affecté, voire anéanti par les risques liés à son activité professionnelle. On sait, en effet, que l’entrepreneur individuel doit répondre de ses engagements professionnels sur la totalité de son patrimoine considéré comme unique. Quant au dirigeant de société, il peut subir de lourdes condamnations à payer l’insuffisance d’actif de la société, en cas de faute de gestion ; pèsent également sur lui des menaces en matière de responsabilité civile, en matière fiscale… À l’heure où la création et le développement des entreprises présentent un enjeu pour la croissance, la création d’emplois, il faut éviter que le chef d’entreprise prenne des risques disproportionnés sur son patrimoine privé. Il faut encourager l’initiative économique, il ne faut pas qu’à l’échec d’une entreprise succède l’échec d’une vie. Dans le respect de la loi qui offre des solutions opportunes, il s’agit, en cas de difficultés rencontrées par l’entreprise, de constituer des îlots de résistance à l’action des créanciers. Des ressources existent par une organisation patrimoniale pertinente et le recours à l’assurance. C’est l’un de principaux axes de recherche que nous avons développé au sein du CR2D. L’ORGANISATION PATRIMONIALE Des choix appropriés exercés par le chef d’entreprise peuvent protéger efficacement son patrimoine privé. L’observation a montré que la majorité des chefs d’entreprise n’a pas conclu de contrat de mariage préalablement à leur union. Ils sont donc exposés au régime légal, particulièrement à l’article 1413 du Code civil selon lequel les dettes contractées par les époux, à quelque titre que ce soit, peuvent toujours être poursuivies sur les biens communs. On pense à la liquidation judiciaire du conjoint ou à sa condamnation en insuffisance d’actif prévue par l’article L. 651-2 du Code de commerce. D’autant plus que la jurisprudence inclut désormais les gains et salaires dans l’assiette de la procédure collective. À l’inverse, le notaire pourra proposer, lors du mariage ou pendant sa vie, l’efficacité du régime de séparation de biens ou de participation aux acquêts. Dans les deux cas, chacun des époux reste seul tenu des dettes nées en sa personne, avant ou pendant le mariage. Il reste qu’il faut poursuivre la réflexion sur la cohérence entre un régime matrimonial protecteur et l’organisation de l’entreprise. En droit des sociétés, il est impérieux que les époux ne soient pas dirigeants de droit ou de fait de la même entreprise, co-gérants, administrateurs, membres du directoire ; en cas de défaillance de l’entreprise, les époux seraient actionnés sur leur patrimoine propre. La voie du recours à la société civile sera surtout précieuse pour le dirigeant de société qui ne peut bénéficier de l’insaisissabilité de ses actifs immobiliers, sur le fondement de l’article L. 526-1 du Code de commerce, mesure réservée à l’entrepreneur individuel. Face aux appétits des créanciers, la séparation des actifs et leur apport ou acquisition au profit de sociétés civiles présente des intérêts non négligeables. La résistance de la société face à l’action des créanciers mérite d’être rappelée sous réserve que ces derniers ne remettent pas en cause l’organisation. Si un dirigeant de société apporte à des sociétés civiles sa maison d’habitation, sa résidence secondaire, son portefeuille titre, les créanciers pourront, il est vrai, saisir les parts reçues en rémunération des apports. Toutefois, l’examen de la réalité démontre que l’entreprise n’est pas aisée. La première difficulté est de trouver un adjudicataire intéressé. Il ne s’agit pas, ici, de devenir propriétaire d’un immeuble net de tout passif mais de parts sociales d’une société titulaire d’un patrimoine comportant des éléments d’actif et de passif, régie par des statuts dotés de clauses parfois dissuasives, comme celles conduisant à l’irrévocabilité du gérant, l’existence d’une clause de tontine sur les parts ou d’un bail consenti au dirigeant. Si, malgré tout, un candidat adjudicataire est trouvé, il n’est pas au bout de ses peines. La vente sur saisie ne le rend pas automatiquement associé. Il doit, en effet, être agréé par les associés puisque ceux-ci peuvent se substituer à lui dans un délai de cinq jours à compter de la vente. L’ensemble de ces observations permet de considérer que la détention d’actifs par des sociétés civiles met le débiteur dans une situation particulièrement favorable comparée à la détention directe d’immeubles ou de valeurs mobilières dont la saisie est aisée. Certes, la saisie de parts de sociétés civiles est juridiquement possible mais, en pratique, on constate que l’îlot de résistance du dispositif permettra au débiteur d’être en situation de proposer une transaction à ces créanciers où ceux-ci, face à la situation, seront conduits à consentir des concessions significatives. Encore faut-il que la constitution des sociétés soit le fruit de l’habilité et non de la fraude et que leur fonctionnement ne prête pas à contestation. Les clauses d’inaliénabilités visées par l’article 900-1 du Code civil sont fréquemment insérées par les notaires notamment dans les dotations-partage d’entreprise. Les biens donnés deviennent-ils insaisissables ? C’est ce que décide la Cour de cassation en ces termes « attendu que le donateur, libre de ne pas donner, était libre d’attacher une pareille restriction à sa propre libéralité et de retenir une partie de la propriété, d’où il suit que les créanciers ne pouvaient puiser que dans la personne de leur débiteur le droit de poursuivre la vente de ses immeubles, et le droit lui manquant, leur manque également ». La jurisprudence a, par la suite, confirmé, voire accentué, sa position initiale en annulant par exemple un commandement de saisie immobilière et en accueillant le droit pour les intéressés de demander la radiation de ce commandement. Par ailleurs, renforçant le dispositif, la Cour de cassation a déclaré purement et simplement irrecevable toute action oblique des créanciers tendant à obtenir la mainlevée da la clause d’inaliénabilité sur le fondement de l’article 900-1 du Code civil. Dans l’état actuel de la jurisprudence, tous les biens donnés ou légués au dirigeant comportant une clause d’inaliénabilité ne peuvent faire l’objet d’une saisie tant que cette clause est en vigueur, notamment tant que le donateur est en vie. Pour être complet sur cette question, on doit relever que le régime des procédures d’exécution comporte une hypothèse de stipulation d’insaisissabilité autonome des clauses d’inaliénabilité. L’article L 112-2-4 du Code des procédures civiles d’exécution dispose qui ne « peuvent être saisis […] les biens disponibles déclarés insaisissables par le testateur ou le donateur, si ce n’est avec la permission du juge et pour la proportion qu’il détermine, par les créanciers postérieurs à l’acte de donation ou à l’ouverture du legs ». LE RECOURS À L’ASSURANCE Le chef d’entreprise doit privilégier le contrat d’assurance-vie pour sanctuariser ses économies, il lui est également conseillé de souscrire un contrat d’assurance pour couvrir sa responsabilité civile. En principe, le contrat d’assurance-vie, plus précisément sa valeur de rachat est insaisissable par les créanciers en application des articles L. 132-14, L. 132-9 et L. 132-12 du Code des assurances, consacrée par la Cour de cassation. Cette insaisissabilité cède néanmoins en cas de fraude paulienne, de versement de primes en période suspecte et en matière fiscale. Il importe de préciser que la saisie par le comptable public n’est possible que pour les assurances comportant une faculté de rachat, principe rappelé par la doctrine fiscale (BOI-REC-FORCE 30-30-20170828). Les contrats dépourvus de faculté de rachat ne sont donc pas saisissables, c’est ainsi le cas de la Tontine visée notamment pas l’article R 322-139 du Code des assurances, la répartition des fonds ne pouvant avoir lieu qu’à l’expiration de l’association tontinière. La responsabilité civile du dirigeant peut être également couverte par l’assurance responsabilité civile mandataires sociaux (RCMS) qui couvrira les condamnations du dirigeant, même en cas d’insuffisance d’actif sous la réserve de l’absence de faute intentionnelle. Ajoutons qu’un nouveau produit d’assurance est apparu et qui peut être utile patrimonialement au dirigeant : l’assurance santé économique des entreprises. En cas de difficultés de l’entreprise, pour une prime modeste, l’assurance prend en charge les honoraires des professionnels spécialisés dans le traitement des difficultés des entreprises : experts-comptables, avocats, mandataire ad hoc. Leur concours peut permettre d’éviter la liquidation judiciaire et l’action en insuffisance d’actif… LA REMISE EN CAUSE DE L’ORGANISATION L’habilité doit être saluée ; il n’est pas interdit de faire le choix de mesures protectrices résultant du jeu de la liberté contractuelle. Ce qui est condamnable c’est de prendre ces dispositions lorsque l’incendie est déclaré, que le débiteur à la situation obérée entend mettre son patrimoine à l’abri. Là, les montages illégitimes sont d’abord sanctionnés par l’action paulienne prévu par l’article 1341- 2 c.civ. Ce texte autorise le créancier à faire déclarer inopposable les actes fait par son débiteur en fraude de ses droits. La jurisprudence est significative à l’encontre des apports réalisés au profit des sociétés civiles, le Code des assurances et le droit matrimonial y font expressément référence. À l’égard de l’entrepreneur individuel soumis à une liquidation judiciaire, les mesures prises pourront également être annulées si elles ont été accomplies pendant la période suspecte. Enfin, ajoutons qu’à l’égard des dettes légales (condamnation délictuelle, fiscal) le chef d’entreprise peut être condamné pénalement pour organisation d’insolvabilité. Les sanctions plaident pour conseiller les chefs d’entreprise à mettre en place le « bouclier patrimonial » le plus tôt possible, avant que l’entreprise ne rencontre des difficultés.

Jean Prieur