Thomas Breda and Clotilde Napp; (PNAS Juillet, 2019)
Si les filles ont désormais de meilleurs parcours scolaires que les garçons, obtenant de meilleurs résultats au brevet ou au baccalauréat, et poursuivant davantage des études supérieures, elles n’en demeurent pas moins fortement sous-représentées dans les domaines reliés aux mathématiques. Elles représentent par exemple moins d’un tiers des effectifs des écoles d’ingénieurs. Or, ce sont souvent ces domaines qui mènent aux professions les mieux rémunérées, dans les secteurs en plus forte croissance et les moins sujets à des écarts de salaires entre femmes et hommes.
Pourtant, les différences de niveau en mathématiques entre filles et garçons sont désormais très faibles dans la plupart des pays et ne permettent pas d’expliquer les larges différences de choix d’éducation et de carrière entre les sexes. Les chercheurs en sciences sociales se sont donc tournés vers d’autres explications telles que des différences de confiance en soi, de préférence ou des discriminations.
L’article éclaire le débat sur les causes de la ségrégation de genre entre métiers d’un jour nouveau. Nous reconsidérons le rôle des performances scolaires et nous montrons que la prise en compte non seulement des résultats en mathématiques mais également de ceux en lettres (ou lecture) permet de rendre compte d’une large part des écarts d’orientation entre filles et garçons.
De faibles différences de performance
Pour cela, nous utilisons les données individuelles de l’enquête internationale PISA, Programme international pour le suivi des acquis, menée en 2012. L’étude des performances en mathématiques et en lettres sur un échantillon de 300 000 élèves de 15 ans dans 64 pays (les 35 pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques OCDE et 29 pays partenaires) révèle que les garçons restent légèrement meilleurs que les filles en mathématiques, tandis que les filles sont bien meilleures en lettres. L’écart en lettres en faveur des filles est trois fois supérieur à l’écart en mathématiques en faveur des garçons. Ces différences donnent aux filles un vrai avantage comparatif pour les disciplines littéraires par rapport aux garçons : deux tiers d’entre elles sont meilleures en lettres qu’en mathématiques, alors que c’est le cas pour seulement un tiers des garçons.
L’enquête PISA 2012 inclut également des questions permettant de mesurer les intentions de poursuivre des études et des carrières reliées aux mathématiques. On y retrouve que les garçons ont davantage l’intention d’étudier les mathématiques, avec des écarts observés très variables d’un pays à l’autre. On constate que les faibles différences de performance en mathématiques ne peuvent expliquer qu’environ 10 % de ces écarts d’intention.
En revanche, les résultats sont radicalement différents dès lors que l’on essaie d’expliquer les intentions d’orientation et de carrière par l’avantage comparatif pour les maths plutôt que par le seul niveau en maths. La prise en compte de l’avantage comparatif permet en effet de rendre compte de 75 % des écarts entre les sexes en termes d’intentions d’étudier les mathématiques sur l’ensemble des 64 pays étudiés.
Cela signifie que si l’on se concentre sur les élèves ayant le même écart entre notes obtenues en mathématiques et notes obtenues en français, la différence entre filles et garçons en termes d’intention d’étudier les mathématiques diminue de 75 %. Les filles sont majoritairement meilleures en lettres qu’en mathématiques et à l’heure de faire des choix, elles s’identifieraient comme davantage littéraires que scientifiques et leur avantage comparatif en lettres les amènerait à délaisser les filières plus mathématiques.
L’enquête PISA 2012 permet aussi de mesurer l’intérêt déclaré des élèves pour les mathématiques ainsi que leur confiance en soi dans cette matière. Ces variables permettent beaucoup moins d’expliquer les écarts d’orientation entre filles et garçons que l’avantage comparatif.
De plus, on observe le même phénomène que lorsqu’on cherche à expliquer les choix d’orientation : les différences de niveau en mathématiques expliquent très peu les différences d’intérêt déclaré ou de confiance en soi en mathématiques entre filles et garçons tandis que les différences d’avantage comparatif permettent d’en rendre compte presque intégralement. Cela montre que la confiance en soi ou l’intérêt dans un domaine s’établit en comparant ses performances dans les différents domaines : à niveau égal en mathématiques, le meilleur niveau des filles en lettres nuit à la façon dont elles se perçoivent en mathématiques, et notamment à leur confiance en soi dans cette discipline.
Ce rôle important joué par les différences entre les sexes de performances scolaires et d’avantage comparatif à 15 ans amène à s’interroger sur leur origine. Nous suggérons qu’elles sont probablement largement d’origine culturelle, déterminées par des processus de socialisation antérieurs, dans le milieu familial et à l’école.
Nous observons par exemple que les écarts de performance entre les sexes sont plus élevés dans les pays dans lesquels les stéréotypes associant les mathématiques aux garçons sont plus forts. Nous remarquons également que l’organisation des systèmes éducatifs peut réduire ces écarts.
Pour favoriser une représentation plus égale des filles et des garçons dans les filières mathématiques, limiter les différences d’avantage comparatif, par exemple en essayant d’améliorer le niveau en français des garçons, devrait être efficace. Une autre option consisterait à améliorer l’information des élèves au moment de faire des choix, pour les inciter à moins se reposer sur l’avantage comparatif et davantage sur les perspectives de carrière. Ces interventions seraient bien sûr à mener en complément de celles destinées à limiter les stéréotypes de genre et leur impact, dès le plus jeune âge, sur les parcours académiques des filles et des garçons.