Thomas Breda, Clotilde Napp (Mars 2022)
Des recherches récentes ont montré qu'il existe des stéréotypes de genre qui présentent les hommes comme plus brillants ou plus talentueux que les femmes. Nous proposons une enquête multinationale à grande échelle sur ces stéréotypes et leurs relations avec d’autres écarts entre les sexes. À partir d’une question d’enquête posée à plus de 500 000 étudiants dans 72 pays, nous construisons une mesure des stéréotypes associant le talent aux hommes et montrons qu’ils sont présents dans presque tous les pays étudiés. Ces stéréotypes sont plus forts parmi les étudiants très performants et dans les pays plus développés ou plus égalitaires entre les sexes. Des tendances similaires sont observées en ce qui concerne les écarts entre les sexes en matière de compétitivité, de confiance en soi et de volonté de travailler dans une profession liée aux TIC (technologies de l'information et de la communication). L’analyse statistique suggère que ces trois derniers écarts entre les sexes pourraient être liés à des stéréotypes associant le talent aux hommes. Nous concluons que ces stéréotypes devraient être plus systématiquement considérés comme une explication possible du plafond de verre.
Les stéréotypes de genre et les préjugés concernant le talent ou la réussite ont été explorés dans le passé, mais généralement dans des contextes ou des cultures spécifiques. En s’appuyant sur l’enquête PISA, une enquête internationale portant sur 500 000 élèves de 15 ans, et portant sur les mathématiques, la lecture et les sciences, notre objectif est de documenter comment les stéréotypes liés au genre et aux talents peuvent être liés au plafond de verre. Parmi les questions posées par PISA, il faut qualifier l’affirmation suivante “Quand j'échoue, j'ai peur de ne pas avoir assez de talent.”
Nous montrons que les adolescentes sont plus susceptibles que les garçons d'attribuer leur échec à un manque de talent. Cette tendance a été observée chez les élèves ayant des capacités similaires en mathématiques et en lecture. Nous avons observé que dans 71 des 72 pays étudiés, les filles sont plus enclines à craindre que leur échec soit dû à un manque de talent. Les garçons, quant à eux, sont plus susceptibles de l’attribuer à des facteurs externes. De plus, les différences, entre les sexes, de perception du talent sont plus prononcées parmi les élèves les plus performants que parmi ceux dont les performances sont moyennes. En effet, les stéréotypes sexistes en lien avec le talent concernent probablement plus le premier groupe. Bien que cela soit surprenant, les différences sont plus prononcées dans les pays les plus développés et égalitaires entre les sexes. Par exemple, dans les pays majoritairement développés (pays membres de l'OCDE), 61% des filles craignent un manque de talent, contre 47% des garçons, soit une différence de 14%.
Un tel paradoxe en matière d’égalité entre les sexes a déjà été observé à propos des écarts entre les sexes liés aux mathématiques. Par exemple, les garçons sont plus susceptibles que les filles d’étudier les sciences et les mathématiques, ou de penser qu’ils peuvent réussir en mathématiques. Ces écarts entre les sexes sont plus importants dans les pays les plus développés et les plus égalitaires. À mesure que les pays se développent, les normes de genre ne disparaissent pas, mais semblent se reconfigurer. Dans les pays les plus développés et où règne l’égalité des sexes, les filles se voient attribuer plus de compétences que les garçons que dans les pays moins développés, mais on leur attribue moins de talents exceptionnels, le génie continue à être considéré comme une qualité masculine.
Nous montrons en outre qu’il existe une forte corrélation parmi les pays entre les perceptions moins talentueuses des filles et les différences entre les sexes dans trois autres indicateurs qui ont été largement étudiés dans le passé. Ceux-ci sont particulièrement liés à l’existence du plafond de verre, c’est-à-dire aux différences entre les sexes en matière de confiance en soi, de compétitivité et de choix de professions compétitives à prédominance masculine. Plus les filles attribuent leur échec au manque de talent, plus leur confiance en elles, leur compétitivité et leur volonté de travailler dans des métiers élitistes et à prédominance masculine diminuent. Tout cela contribuerait à les empêcher d’accéder aux postes les plus élevés du marché du travail.
Nos résultats suggèrent qu’il est important de considérer les stéréotypes de genre concernant le talent. Cela permettrait de mieux comprendre plusieurs différences déjà documentées entre filles et garçons et notamment le plafond de verre. Pris ensemble, nos résultats suggèrent qu’il est peu probable que le plafond de verre disparaisse simplement à mesure que les pays se développent ou deviennent plus égalitaires entre les sexes. Mettre l’accent sur l’apprentissage par essais et erreurs permettrait sans aucun doute de réduire ces stéréotypes et éventuellement, avec eux, certaines formes d’inégalités entre les sexes.