Thomas Breda, Elyès Jouini, Clotilde Napp et Georgia Thebault; (PNAS, Decémbre 2020)
Le Paradoxe de l'égalité des sexes correspond au constat que plus un pays est égalitaire et développé et moins les femmes y choisissent des carrières dans le champ des STIM .
Ce constat est venu renforcer les tenants de différences profondément enracinées ou intrinsèques entre les sexes en termes de goûts et de préférences disciplinaires : les femmes auraient moins d’attirance pour les STIM. Ce moindre goût s’exprimerait plus aisément dans les pays où les contraintes en général et les contraintes économiques en particulier sont plus limitées et où l’on est donc plus libre de le faire.
Nous montrons, au contraire, que ce paradoxe peut s'expliquer par des différences entre les pays en termes de normes de genre essentialistes et de stéréotypes concernant les aptitudes mathématiques et les choix professionnels appropriés. À cette fin, nous proposons une mesure de la prévalence et de l'étendue de l'internalisation du stéréotype selon lequel « les mathématiques ne sont pas pour les filles». Pour ce faire, nous utilisons les données individuelles sur les attitudes face aux mathématiques de 300 000 élèves de 15 ans, de sexe féminin et masculin, dans 64 pays.
Il apparaît alors clairement que le stéréotype associant les mathématiques aux hommes est plus fort dans les pays plus égalitaires et développés. Ce stéréotype est également fortement associé à la sous-représentation des femmes dans les domaines intensifs en mathématiques et peut expliquer entièrement le paradoxe de l'égalité des sexes. De plus, l’analyse statistique montre le lien entre cette sous-représentation et le niveau de développement devient non significatif lorsque l’on contrôle le niveau de stéréotypes. Alors qu’à l’inverse, le lien entre sous-représentation et niveau de stéréotypes demeure quasiment inchangé lorsque l’on contrôle le niveau développement. Ce qui suggère bien que le lien mis en avant par le Paradoxe de l’égalité des sexes pourrait être entièrement intermédié par les stéréotypes.
Ces travaux suggèrent que le développement économique et l'égalité des sexes en matière de droits vont de pair avec une refonte plutôt qu'une suppression des normes de genre, avec l'émergence de formes nouvelles et plus horizontales de différenciation sociale entre les sexes. L’explication du paradoxe de l’égalité des sexes serait ainsi entièrement d’origine culturelle.
Combattre les préjugés
Ces constats aboutissent à une même conclusion : la faible présence des femmes dans les études et les professions scientifiques est un fait socialement construit, et ne diminuera pas naturellement lorsque la société deviendra plus développée et globalement plus égalitaire. Des politiques appropriées sont donc indispensables.
Les préjugés du type «les filles ne sont pas douées pour les mathématiques» et «les filles n’aiment pas les mathématiques» ne sont confirmés par aucune étude scientifique à échelle internationale. Il est de notre responsabilité collective de les combattre.
Cela passe par des programmes de sensibilisation à la fois dans les écoles et dans les familles, dès le plus jeune âge.
Améliorer l’information des élèves notamment en termes de perspectives de carrière, aux moments où ils ont des choix à effectuer, est également essentiel. Mettre en place des programmes de mentorat et faire intervenir des femmes scientifiques qui ont réussi dans des voies connotées masculines s’avère efficace. Ce n’est pas un hasard si les filles qui ont des mères scientifiques ont aujourd’hui plus de chance de s’orienter et de réussir dans ces filières.
En matière d’organisation du système éducatif dans son ensemble, il serait enfin nécessaire de réfléchir à des parcours moins précocement spécialisés, afin d’éviter que les filles ne délaissent les sciences trop tôt et que les garçons ne délaissent les lettres tout aussi tôt.