Clotilde Napp (PNAS Nexus, Novembre 2023)
Les stéréotypes de genre contribuent aux déséquilibres entre les sexes, et l’analyse de leurs variations entre les pays est importante pour comprendre et atténuer ces inégalités. Cependant, mesurer les stéréotypes est difficile, en particulier dans un contexte interculturel. Le plongement lexical est un outil récent et utile dans le traitement du langage naturel, permettant de mesurer les stéréotypes de genre collectifs ancrés dans une société.
Dans ce travail, nous avons utilisé des modèles pré-entraînés sur de grands corpus de textes provenant de plus de 70 pays différents pour examiner comment les stéréotypes de genre varient d'un pays à l'autre. Nous avons examiné les stéréotypes associant les hommes à la carrière et les femmes à la famille, ainsi que ceux associant les hommes aux mathématiques ou aux sciences et les femmes aux arts ou aux arts libéraux. En nous appuyant sur deux sources différentes (Wikipedia et Common Crawl), nous avons constaté que ces stéréotypes de genre sont tous significativement plus prononcés dans les corpus textuels des pays les plus développés économiquement et les plus individualistes.
Notre analyse suggère que les pays les plus développés économiquement, tout en étant plus égalitaires entre les sexes dans plusieurs domaines, ont également des stéréotypes de genre plus forts. Les politiques publiques visant à atténuer les déséquilibres entre les sexes dans ces pays devraient tenir compte de cette caractéristique. Par ailleurs, notre analyse met en lumière le « paradoxe de l’égalité des sexes », c’est-à-dire le fait que les déséquilibres entre les sexes dans un grand nombre de domaines sont paradoxalement plus forts dans les pays plus développés, égalitaires et individualistes. Les préjugés sexistes concernant les carrières, les mathématiques et les sciences sont tous plus forts dans les corpus de textes des pays plus développés économiquement et individualistes.
Les stéréotypes de genre nuisent aux personnes des deux sexes – et à la société dans son ensemble – en orientant et parfois en limitant les gens à des comportements, des rôles et des activités liés à leur genre. Les stéréotypes largement partagés incluent l’hypothèse selon laquelle les hommes occupent une place plus centrale dans la vie professionnelle tandis que les femmes occupent une place plus centrale dans la vie domestique.
Nous invitons cependant à la prudence dans l’interprétation des résultats qui sont basés sur l’analyse des mégadonnées dans un contexte international et peuvent impliquer divers mécanismes sous-jacents. La cause des tendances observées reste à établir avec certitude, mais ces constats font écho aux travaux théoriques montrant que dans les sociétés où les croyances sur l'inégalité entre hommes et femmes ont décliné, des croyances relatives à des spécialisations différenciées des hommes et des femmes ont pu émerger et les remplacer.
Une autre explication, qui complète et amplifie l’impact de l’explication précédente, réside dans le fait que les associations biaisées peuvent refléter les différences de comportement entre les sexes qui sont plus fortes dans les pays riches. Il est à noter que cette présence de stéréotypes de genre dans les corpus de textes en ligne utilisés pour entraîner l’IA pourrait renforcer ces stéréotypes dans les modèles d’intelligence artificielle.