Éliminer le SARS-CoV-2, plutôt que vivre avec...
"Santé, croissance économique et liberté vont main dans la main dans la crise du Covid-19" d’après un nouvel article publié, jeudi 29 avril 2021, dans la revue scientifique britannique The Lancet.
Dirigée par Miquel Oliu-Barton (Dauphine - PSL) et par Bary Pradelski (CNRS), l’étude passe en revue la gestion de la pandémie lors des 12 premiers mois au niveau mondial, et compare plus en détail les 37 pays de l’OCDE. La conclusion est sans appel : que ce soit en matière de santé, d'économie ou de liberté, les pays ayant visé systématiquement l'élimination du virus –par des actions strictes et rapides– ont nettement mieux réussi que les pays qui, comme la France, ont préféré « vivre avec le virus » en appliquant une logique de « stop-and-go », stratégie visant à aplatir la courbe des infections afin d’empêcher la saturation des services hospitaliers.
Commençons par la santé : les décès pour 1 million d'habitants dus au Covid-19 ont été 25 fois plus faibles dans les pays qui ont opté pour l'élimination du virus. Outre ce chiffre, qui a de quoi nous indigner, la mortalité n’est que la pointe de l’iceberg quant à la charge endurée par les hôpitaux et plus largement par notre société : hospitalisations, report des diagnostics et des contrôles routiniers, annulation des opérations, Covid de longue durée.
En termes économiques, l'étude analyse la croissance du PIB dans chaque pays de l’OCDE, estimée sur une base hebdomadaire. Là encore, la comparaison est accablante : les pays visant l’élimination du virus ont connu une meilleure performance économique presque à chaque période. Cela leur a permis de retrouver un niveau de croissance pré-Covid, soit en moyenne 10 points au-dessus des autres pays qui, comme la France, enregistrent toujours une croissance négative.
Co-auteur de l’étude, l’économiste Philippe Aghion (Collège de France, London School of Economics, INSEAD) argumente : « La stratégie stop-and-go est préjudiciable à la croissance économique car elle empêche les entreprises de planifier à long terme. Au lieu d'investir dans l'innovation, ils épargnent pour faire face au prochain confinement et privilégient des embauches en contrat de courte durée. »
Patrick Artus, chef économiste chez Natixis, ajoute : « Avec la saison touristique qui approche en Europe, viser l'élimination par une stratégie coordonnée peut éviter de créer de nouvelles divergences économiques et politiques entre le Nord et le Sud de l'Europe. »
Mais l’impact négatif de l’incertitude va bien au-delà de l’économie. Confinement, fermeture des lieux de socialisation, et restrictions de mobilité sont d’autant plus contraignants pour nos libertés que les règles changent en permanence et que nous en ignorons la durée. Mais comment mesurer la liberté au sein d’un pays ? Cela peut sembler une tâche ardue, mais c’est précisément l’objet du « stringency index » (indice de rigueur) développé par des chercheurs de l'Université d'Oxford.
Cet indice mesure la rigueur des politiques de type confinement, telles que la fermeture des écoles, des magasins et des restaurants, ou les restrictions de mouvement. Encore une fois, la comparaison est limpide : les libertés ont été les plus gravement touchées dans les pays ayant choisi d’atténuer la circulation du virus. En fin de compte, les mesures strictes de confinement –propres à la stratégie d'élimination– se sont avérées moins liberticides.
L’étude, signée par des experts de renom (économistes, chercheurs en santé publique, politistes et sociologues) démontre ainsi que les objectifs en matière de santé, d'économie et de liberté ne sont pas en compétition : viser l'élimination du virus est le moyen le plus efficace et publiquement acceptable de sortir de la pandémie.
Ilona Kickbusch (Institut de hautes études internationales et du développement) ajoute : « Les pays qui ont opté pour l’élimination ont fondé leur stratégie sur un objectif commun et de solidarité. D'autres devraient prendre cet apprentissage, montrer une action décisive et mettre de côté les arguments polarisés et non scientifiques afin de regagner le soutien de la population. »
En outre, les auteurs défendent la vaccination de masse, qu’ils jugent essentielle pour permettre un retour à notre vie d’avant le Covid. Néanmoins, se fier uniquement aux vaccins pour contrôler la pandémie est un pari très risqué en raison de leur déploiement inégal, de leur immunité limitée dans le temps et de l'émergence de nouveaux variants. Par ailleurs, précisément à cause des variants préoccupants, de plus en plus de scientifiques appellent à une stratégie mondiale coordonnée pour éliminer le COVID-19.
Co-leaders de l’étude, Miquel Oliu-Barton, maître de conférences à l’Université Paris-Dauphine - PSL et Bary Pradelski, chercheur au CNRS, précisent : « Les pays qui ont opté pour l'élimination ont agi rapidement et localement pour contrôler les résurgences du virus. Ils ont pu ainsi créer et protéger des zones vertes où le virus est maîtrisé et où la vie peut revenir à la normale –reprise des activités sociales et des voyages en toute sécurité. C’est pourquoi nous renouvelons notre appel à une coordination internationale avec pour objectif l’élimination du Covid-19. »
Devi Sridhar (Université d'Édimbourg) ajoute : « L'administration Biden-Harris a défendu la nécessité d’adopter une stratégie mondiale d’élimination en avril 2021 en déclarant notamment que le contrôle du COVID-19 était la priorité numéro un de son gouvernement et que « cette pandémie ne s'arrêtera pas chez nous tant qu'elle ne se terminera pas à l'échelle mondiale. » »
Enfin, les auteurs préviennent que les conséquences des choix politiques concernant la gestion du virus seront durables, et s'étendront au-delà de la fin de la pandémie. Les gains économiques, politiques et sociétaux des pays ayant visé (ou qui viseront) à éliminer le COVID-19 seront plus visibles encore sur le long terme.
D’autres citations des auteurs
Jeffrey V Lazarus, chercheur principal à l'Institut de Barcelone pour la santé mondiale : « Une action nationale à elle seule est insuffisante et un plan mondial clair pour sortir de la pandémie est nécessaire. Les pays qui choisissent de vivre avec le virus constitueront probablement une menace pour d'autres pays, notamment ceux qui ont moins accès aux vaccins COVID-19. »
Samantha Vanderslott, chercheuse à l'Université d'Oxford : « L'histoire a prouvé que pour contrôler une maladie infectieuse, une combinaison de mesures de santé publique est nécessaire, y compris la communication et l'engagement du public. »
Revue de presse
Vivre avec le virus : «la France est en train de se tromper» - Libération (30.04.21)
Le choix gagnant des pays ayant opté pour la stratégie du zéro Covid - Le Monde (05.05.21)