Participation à la 1re édition de l’Université de l’APSE
Au sein du Master Conseil et Accompagnement du Changement (CAC) - 228, les enseignements sont largement inspirés des travaux issus de la sociologie et de la psychosociologie appliqués aux organisations. Aussi, la promotion 2023-2024 a eu l’honneur d’être invitée pour la première édition de l’Université de l’APSE - Association Pour la Sociologie de l’Entreprise. Cette dernière explorait la place et les apports de la sociologie en entreprise de nos jours, que les étudiantes et les étudiants pourront mettre à profit lors de leurs futures carrières, mais aussi d’ores et déjà lors de leur apprentissage en entreprise.
Au cours de ces 3 jours, l’université de l’APSE s’est répartie entre plénières, tables rondes et ateliers thématiques. Retrouvez ci-dessous des résumés de certains ateliers et certains apports des conférenciers :
Plénière du 13 septembre 2023 : Table ronde “héritages et perspectives de la sociologie en entreprise”
Intervenants : Laurence Servel, Anne Gillet, Michel Lallement, Jean-Michel Saussois, Denis Segrestin, Danielle Cerland-Kamelgarn, Philippe Adeline, Blaise Barbance, Grégory Lévis
Le premier temps se consacrait à l’inscription historique de la sociologie des entreprises au sein du champ scientifique :
Cette généalogie du courant fut entamée par Michel Lallement, chercheur au CNRS et directeur de la chaire de sociologie du travail au sein du CNAM. Son intervention aborda la naissance de la sociologie du travail et le lien historiquement fort entre la sphère professionnelle et le monde académique au sein des premiers travaux en sociologie du travail. Ce lien a d’abord été établi par les premiers chercheurs en sociologie des entreprises, qui étaient eux même des professionnels qui ont enquêtés sur les conditions de travail et sur l’organisation du travail au sein de leur branche d’activité.
Dans un second temps, Laurence Servel décrivit l’histoire de la sociologie des entreprises, son évolution cyclique et ses atouts pour répondre aux problématiques contemporaines du monde du travail. Elle décrivit notamment l’intrication entre la situation politique et le succès de la sociologie de l’entreprise au niveau institutionnel et académique. Malgré son développement cyclique, la sociologie de l’entreprise opère aujourd’hui un retour au sein du champ scientifique en misant sur plusieurs de ses qualités propres :
- la sociologie d’entreprise questionne la responsabilité sociale des entreprises, thème central dans les débats contemporains sur les entreprises.
- la sociologie d’entreprise permet de comprendre les liens entre crises sociales et crises économiques, dans la mesure où elle a très tôt pensé la perméabilité de la frontière entre l’entreprise et le reste du monde social. Alors que nous nous situons dans un contexte sujet aux crises sociales, la sociologie d’entreprise peut aborder ces crises comme un thème central de ces futures recherches.
- la sociologie de l’entreprise est familière des méthodes d’enquêtes qualitatives, actuellement privilégiées au sein des recherches académiques sociologiques.
Anne Gillet a enfin complexifié la nature de l’objet de recherche de la sociologie de l’entreprise en réfléchissant sur la multitude des formes organisationnelles et culturelles, aujourd’hui désignée sous le terme générique : “entreprise”.
Enfin, Denis Segrestin s’est intéressé au lien entre le social et l’économique, et ce malgré l’émancipation progressive des sphères économiques au sein d’un capitalisme financiarisé et globalisé. Il aborda notamment le paradoxe suivant : comment penser l’entreprise comme une institution sociale dans une société capitaliste néo-libérale ?
13 septembre 2023 : Atelier “télétravail, travail hybride et nouveaux modes de travail”
Les différentes questions du télétravail et du travail hybride étant d'ores et déjà très discutées aujourd’hui, il paraît intéressant ici de souligner les discussions autour des espaces de co-working.
Gerhard Krauss, maître de conférences en sociologie et chercheur, était présent à l’atelier pour aborder ce sujet, auquel il a consacré un ouvrage « The Coworking (r)evolution » (sortie prévue en 2024). Véritable hybride entre l’espace de travail classique du bureau (postes de travail, connectiques complètes, salles de réunion, espace conviviaux…) et le domicile (espace beaucoup plus « cozy », présence de fauteuils, canapés et divers espaces de repli, flexibilité sur les heures d’arrivée et de départ, autonomie…), il constitue un « tiers lieu » à part, qui répond à des enjeux et motivations propres, à destination d’une catégorie très précise d’usagers.
Là où le télétravail répond à des enjeux de flexibilité, d’équilibre vie privée/vie professionnelle et de management du temps (économie des coûts et du temps de transport…), et qu’il constitue en cela un véritable facteur de rétention et d’attractivité, il a démontré, depuis sa démocratisation plusieurs limites : la problématique des conditions de travail en distanciel, la question de l’évaluation du travail dit « réel » si celui-ci n’est plus « vu », ainsi que la suppression d’un grand nombre d’interactions sociales.
C’est précisément ce dernier point qui préoccupe les salariés, et notamment, contre tout attente, les jeunes, qui ont plus de mal à trouver des repères et à s’approprier leur environnement de travail, faire du réseau, dans un contexte de télétravail généralisé. Plusieurs collaborateurs soulignent également une diminution de leur productivité, liée à la baisse des interactions informelles qui constituaient un rôle clé dans le travail.
Au-delà des bénéfices du télétravail précédemment évoqués, on souligne celui du sentiment d’autonomie et de liberté, et d’alignement à la vie personnelle. Le co working semble alors emprunter au meilleur de ces deux mondes (présentiel et distanciel), en permettant aux salariés de travailler dans le « confort » et la « liberté » du tiers lieu, sans ses inconvénients, tout en retrouvant les avantages du lieu de travail (équipement, commodités…), sans ses contraintes (trajet, omniprésence du manager ou des collègues…).
C’est ainsi que se dégage chez ses utilisateurs un profil particulier : celui de salariés ayant un fort désir de travail en autonomie, et de souveraineté sur leur rythme de vie. Pouvoir déterminer leur lieu de travail, et par ricochet, de vie, séduit de plus en plus les travailleurs les plus qualifiés, qui parviennent à négocier un « contrat de coworking » avec leurs entreprises, qui prennent en charge le coût de location de ces espaces. Car, oui, le coworking n’est pas sans coût : on compte, sur Paris, entre 35 et 60 euros la journée pour le privilège d’occuper ces lieux à la journée. Autrefois réservé à certains métiers (freelancers…), on remarque une forte représentativité d’utilisateurs très qualifiés qui négocient ce mode de travail comme compromis au 100% télétravail. En effet, cela semble redonner un certain sentiment de « contrôle » et rassurer les managers, qui savent que leurs collaborateurs sont bel et bien en train de travailler au sein d’un espace.
Plénière du 14 septembre 2023 : Table ronde « L’intervention sociologique en question(s) : apports, limites et hybridations de la sociologie de l’entreprise »
Intervenants : Justine Rayssac, Dominique Massoni, Grégory Lévis, Olivia Foli
La deuxième journée s’est ouverte sur deux témoignages d’intervention en entreprise sous le prisme de la sociologie.
Le deuxième jour de l’université APSE concernait la pratique de regards croisés sur la sociologie de l’entreprise et de l’action. La première intervention a été effectuée par la doctorante Justine Rayssac, réalisant sa thèse à l’Ecole nationale supérieure des Mines de Paris, sur la question : “comment préserver le bien-être des artisans dans l’horlogerie de luxe en Suisse ?”. Les évolutions du secteur ont provoqué un séquençage des tâches et une augmentation des exigences de qualité. Les résultats de son enquête montrent que les horlogers aux tâches les plus parcellisées et moins complexes ont un plus fort bien-être au travail que leurs collègues possédant des tâches moins séquencées et plus complexes. Comment cela s’explique ? Les horlogers exerçant les métiers les plus complexes sont isolés géographiquement de leurs collègues et leurs perspectives d’évolution de carrière sont plus limitées.
Cette étude s’inscrit dans une volonté de l’entreprise de lier sa stratégie au bien-être de ses salariés. Cette préoccupation s’explique par une culture d’entreprise familiale, valorisée par son conseil d’administration. L’étude de J. Rayssac n’est pas achevée, mais veillera à l’avenir à explorer ce lien entre stratégie et bien-être salarié
La seconde conférence de ce second jour a été réalisée par Grégory Lévis, enseignant-chercheur et sociologue et Olivia Foli, maîtresse de conférences en sciences de l’information, de la communication et sociologie.
L’intervention portait sur “Le sociologue intervenant face à une situation de harcèlement moral : saisir les paroles de plainte en entreprise”. La situation présentée était celle d’un directeur qui avait reçu de multiples courriers d’alerte des organisations syndicales faisant mention de salariés en détresse en raison des actions diverses de salariés d’un même département. Grâce à l’intervention des sociologues, il a pu être mis en avant les causes de ce climat délétère : le renouvellement managérial et le recrutement de personnes diplômées ont causé une modification de la culture d’entreprise.
14 septembre 2023, Atelier “travail et liberté”
Parmi les ateliers de réflexion proposés le deuxième jour, plusieurs étudiants étaient présents pour celui qui concernait le travail et la liberté.
Artlib est un collectif de recherche dont l’objectif est de rassembler des chercheurs pluridisciplinaires autour de la liberté au travail. Le cœur du questionnement est constitué par la double facette antinomique du lien entre la liberté et le travail. En effet, le travail peut être vu comme liberticide ou facteur de socialisation et d’émancipation. Ainsi, les typologies de rapports entre le travail et la liberté sont multiples : on peut se libérer du travail, dans le travail, malgré le travail, par le travail ou même libérer celui-ci. Pour réfléchir à cette question, Artlib a créé un jeu pour questionner ces rapports et leurs différentes interprétations.
Un jeu de cartes en développement a été proposé par José Rose et Blaise Barbance. Il peut se décliner en quatre jeux différents autour de trois types de cartes différents : les cartes personnage avec des traits de personnalités stéréotypées (ex : le tire au flanc, le solo), les cartes évènements sur des situation de travail (ex : plus de papier dans un imprimante) et les cartes sur des projets organisationnels (ex : commercialisation d’un nouveau produit). Pour chacun des jeux, il fallait tirer un personnage et l’interpréter dans une situation professionnelle, seul ou en groupe, dans le but de le faire deviner ou l’incarner dans le cadre d’une gestion de projet fictive. Un dernier jeu permettait d'aborder la hiérarchisation de la liberté au travers de ses profils stéréotypés.
Plénière du 15 septembre 2023 : Table ronde “mobiliser la sociologie de l’entreprise comme ressource professionnelle”
Intervenants : Marnia Allek , Laurent Aupied, Charles Stoessel , Pierre Ygouf, Blaise Barbance, Anne Gillet, Laurent Tertrais
Lors de ce troisième jour, nous avons assisté aux témoignages de professionnels mobilisant la sociologie de l’entreprise comme ressource dans leur pratique. Parmi les témoignages exposés, nous avons notamment retenu les idées suivantes.
La sociologie est un vivier d’outils que les professionnels peuvent utiliser dans leur pratique pour décrypter les situations de travail. Par exemple, Marnia Allek a expliqué comment elle est parvenue à requalifier une demande par le modèle SIC (H. Mintzberg, M. Crozier, R. Sainsaulieu). En effet, il fut question finalement de revoir les titres de postes ainsi que leurs missions, alors que la demande initiale soulevait un problème de formation. Par ailleurs, la sociologie a des terrains de jeux actuels intéressants, avec notamment des débats sur le flex-office, le management en situation de télétravail et le fait de garder de l’informel avec un retour au présentiel. Enfin, l’un des intervenants a insisté sur la valeur ajoutée de la sociologie de l’entreprise par rapport au « consulting ». Jusqu’ici, le consulting a été plus rassurant pour les dirigeants par l’utilisation d’outils de conseils très répandus et connus comme les benchmarks. Aujourd’hui les dirigeants veulent se démarquer par le recours à la sociologie, avec un besoin (plus que jamais) d’un « no bullshit consulting ».