Transition Écologique & Sociale
50 nuances de vert : les négociations de la transition sociale et écologique en entreprise

Synthèse de l’intervention de Camille Dupuy lors de la soirée de lancement du Cercle Travail en transitions, le 5 février 2025, à l’Université Paris Dauphine - PSL.
L’idée d’une transition « juste » renvoie à un processus de transition écologique de l’économie qui ne ferait pas peser les efforts sur les plus précaires, mais qui partagerait cet effort sur l’ensemble des parties prenantes. Quelles sont les conditions de possibilité d’une transition « juste » ?
Cette question s’inscrit dans le contexte actuel où les employeurs comme les salariés déclarent se préoccuper des enjeux environnementaux sans que ceux-ci n’apparaissent jamais comme prioritaires, ce qui induit un dialogue social très peu développé sur cet enjeu. Partant de ce constat, Camille Dupuy s’est lancée avec Vincent Pasquier (chercheur à HEC Montréal) dans une cartographie du dialogue social et environnemental en France et à l’étranger, afin d’identifier une typologie des négociations « vertes », qui a récemment été publié dans la revue Négociations. L’attention est portée à la qualité du processus pour arriver à une transition écologique juste : quelles sont les conditions nécessaires pour avoir un dialogue social à tous les niveaux, qui prenne en compte les effets sur l’emploi et sur les inégalités ?
Typologie des formes de la « négociation verte » dans les entreprises
Le dialogue social se construit dans la rencontre entre les stratégies des organisations syndicales, et les stratégies des employeurs. Celles-ci sont variables, et se distinguent en trois positions types :
- Opposition : les enjeux environnementaux sont niés,
- Freinage : les enjeux environnementaux sont mis de côté au profit d’autres enjeux prioritaires,
- Soutien : les enjeux environnementaux sont largement traités.
L’intersection de ces différentes positions permet d’établir une classification selon cinq idéaux-types :
- Le corporatisme brun : fabrication d’un consensus entre groupes sociaux aux intérêts divergents : les positions syndicales et patronales se rejoignent contre les processus de transition écologique.
- Le conservatisme social : les organisations syndicales s’opposent aux plans de transition écologique élaborés par les directions des entreprises, la plupart du temps car les coûts de la transition pèsent sur les salariés (exemple : à travers des suppressions d’emplois).
- Le marginalisme : les intérêts syndicaux et patronaux se rejoignent pour limiter la transition écologique avec l’idée qu’il est possible de découpler la croissance économique de la destruction de l’environnement. Les négociations collectives portent sur des enjeux connexes au travail, tels que la mobilité douce par exemple, mais pas sur le processus de production en tant que tel.
- Le corporatisme vert : les acteurs syndicaux et patronaux convergent dans le sens d’une transition écologique qui soit juste socialement : cela passe souvent par la formation des salariés restants et l’accompagnement de la réinsertion des salariés sortants.
- La lutte des éco-classes : le dialogue social se transforme en lutte sociale conflictuelle qui laisse peu de place à la négociation, dans une conception capitalocène de la lutte des classes (les capitalistes seraient les exploitants des travailleurs mais aussi de la nature).
Les facteurs influençant la négociation « verte » :
Quels sont les facteurs qui expliquent la façon dont se structure la négociation ?
- L’action publique environnementale : l’engagement de l’Etat, comme planificateur mais aussi garant de la protection sociale.
- Le rapport de force entre les organisations syndicales et patronales : plus le rapport de force est égalitaire et les relations professionnelles coopératives, plus on voit se développer des mesures favorables à la transition écologique : un climat social apaisé rend plus probable la mise en place d’un dialogue sur les enjeux environnementaux.
- Le rôle endossé par les acteurs : selon leur prise en charge de ces enjeux. Certaines entreprises et organisations syndicales considèrent que la transition écologique n’est pas de leur ressort, et que leur responsabilité ne concerne que les questions économiques et de l’emploi.
- Le niveau de la négociation : on fait face à une difficulté d’articulation des niveaux de la négociation : des distorsions se créent entre le niveau national et le niveau local.
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