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Le 5e séminaire AGIR, introduit par El Mouhoub Mouhoud, Président de l’Université Paris Dauphine – PSL, est dédié aux défis posés par le changement climatique pour les finances publiques. Il a réuni un panel d’expertes et d’experts pour approfondir la discussion sur les stratégies à adopter dans cette période cruciale de transition écologique.

Cette synthèse capture l’essence des dialogues et des débats engagés, soulignant les contributions importantes des intervenants et la diversité des approches proposées pour adapter les mécanismes financiers publics aux impératifs climatiques, tout en explorant les voies innovantes pour une gestion durable et responsable des ressources publiques.

1. Les incidences économiques de la transition énergétique

Selma MAHFOUZ

Le rapport de Jean Pisani-Ferry « Les incidences économiques de l’action pour le climat », missionné par la Première Ministre et publié le 22 mai 2023, met en lumière la nécessité d’une transformation économique face au changement climatique, soulignant l’importance des finances publiques dans ce processus.

Selma Mahfouz, rapporteure et co-auteure du rapport, présente cette transition comme une transformation fondamentale de l’économie, une véritable révolution industrielle à un rythme accéléré et globalement adopté. Cela implique un changement radical dans le mix énergétique mondial, passant progressivement des énergies fossiles vers des sources renouvelables telles que le solaire et l’éolien. Elle souligne que cette transformation est essentiellement guidée par des décisions publiques plutôt que par l’innovation de marché.

On identifie trois mécanismes économiques clés sur lesquels repose la transition :

  • Réorientation du progrès technique : un changement vers l’innovation dans les technologies vertes.
  • Sobriété : définie comme une réduction de la consommation d’énergie non attribuable à des gains d’efficacité énergétique, elle requiert un changement des pratiques et normes collectives et pourrait stimuler la croissance et le bien-être.
  • Substitution de capital aux énergies fossiles : des investissements dans des infrastructures telles que les panneaux solaires, l’éolien, la rénovation de bâtiments et l’achat de véhicules électriques pour une décarbonation effective.

Concernant le financement de la transition, le rapport mentionne des besoins d’investissement estimés entre 60 et 70 milliards d’euros par an à l’horizon 2030 pour la France. Ces investissements sont nécessaires pour remplacer les énergies fossiles par des alternatives plus vertes. À noter que ces investissements n’augmentent pas la productivité à court terme, et peuvent même entraîner une baisse transitoire de la croissance de la productivité.

La transition est présentée ici comme spontanément inégalitaire, imposant des coûts significatifs sur les ménages et les petites entreprises. Selma Mahfouz met en perspective le coût des mesures de transition par rapport aux revenus des ménages modestes et des classes moyennes, soulignant la nécessité d’une transition juste et équilibrée.

Elle conclut par les implications pour les finances publiques, expliquant que les investissements nécessaires entraîneront une augmentation des dépenses publiques et une diminution des recettes. Selma Mahfouz aborde également l’illusion perdue du double dividende, où la taxation du carbone ne générerait pas suffisamment de recettes pour financer la transition et stimuler la croissance. Elle propose diverses pistes de financement, y compris le redéploiement des dépenses brunes, l’ingénierie financière et un prélèvement temporaire sur le patrimoine financier pour répondre aux défis de financement de la transition énergétique.

2. L’efficacité des dépenses publiques

Anne-Laure DELATTE

Anne-Laure Delatte se concentre sur le rôle de l’action publique dans le contexte de la crise climatique et la nature de l’aide de l’État aux entreprises. Dans sa présentation, basée sur son ouvrage « L’État droit dans le mur », publié en avril 2023, elle évalue la dépense publique depuis une perspective historique débutant en 1949, en couvrant les aspects budgétaires et monétaires de l’action publique.

Elle révèle que l’action publique au service des entreprises s’est intensifiée ces quarante dernières années, notamment au cours des vingt dernières années, et s’est majoritairement orientée vers le financement de secteurs polluants. Elle propose un réexamen des aides publiques, en particulier des dépenses fiscales qui ne sont pas enregistrées en comptabilité nationale et qui représentent un manque à gagner lié aux dégrèvements fiscaux et exonérations sociales.

Anne-Laure Delatte précise que si les aides publiques directes sont restées relativement stables autour de 4,5% du PIB depuis 1949, l’ajout des allègements fiscaux et exonérations sociales révèle une augmentation substantielle de l’aide à l’économie marchande. Elle explique que ces aides ne sont pas discutées en détail au Parlement ou dans les rapports budgétaires annuels, ce qui a mené à un manque de débat collectif sur cette dimension de l’action publique

L’analyse de l’impact carbone des aides publiques en faveur des entreprises révèle que la moitié des subventions va aux secteurs les plus polluants. Ce constat met en lumière la contradiction inhérente à la politique publique qui finance simultanément des secteurs climaticides tout en tentant de soutenir la transition écologique.

Pour remédier à cette situation, Anne-Laure Delatte suggère d’introduire des conditionnalités aux aides publiques, liées aux investissements de transition de l’année précédente. Elle propose que les entreprises qui investissent massivement dans les énergies fossiles ne reçoivent pas d’aide publique, ou que celles qui réduisent leurs investissements dans ces énergies reçoivent un pourcentage d’aide proportionnel à leur réduction.

Finalement, l’auteure met en avant la nécessité d’une réflexion approfondie sur les aides publiques aux entreprises, en préconisant une politique publique mieux ciblée et conditionnelle qui favorise réellement la transition écologique et évite de subventionner des activités nocives pour l’environnement.

Discussion et questions

Antoine BOZIO, Philippe DE VREYER

Les discussions qui suivent les présentations des intervenantes s’articulent autour de l’efficacité des politiques publiques, l’impact de la transition sur les finances publiques et les secteurs économiques, et l’importance d’une réflexion approfondie sur le redéploiement des aides publiques.

Antoine Bozio, directeur de l’Institut des Politiques Publiques et Maître de Conférences à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, souligne l’importance de la concertation pour arriver à un consensus nécessaire aux investissements capitaux majeurs d’ici 2030. Il pointe la nécessité d’un débat public autour des politiques fiscales et de leur impact redistributif, insistant sur une analyse détaillée des politiques pour évaluer leur efficacité et justice sociale.

Philippe De Vreyer, professeur d’économie et directeur du LEDa, a abordé l’importance de la complémentarité des deux travaux présentés, en particulier la nécessité d’une action urgente soulignée par le rapport Pisani et le livre d’Anne-Laure Delatte. Il confirme la nécessité de reconsidérer les stratégies fiscales, notamment les subventions et exonérations qui représentent une part conséquente du PIB, souvent orientées vers les entreprises.

Les discutants ont ensuite partagé leurs points de vue sur les recommandations formulées par les intervenantes. Antoine Bozio interroge notamment l’efficacité des dépenses fiscales en regard des services publics déficients et questionne les définitions utilisées dans le rapport Pisani, comme celle de « sans dommage ». Philippe De Vryer relève également la proposition de taxer le patrimoine financier, soulignant son faible impact annuel sur la base taxable et appelant à une réflexion approfondie sur l’efficacité de cette mesure

Pour y répondre, Selma Mahfouz revient sur la question de l’efficacité des interventions publiques et de leur incidence sur les ménages et les entreprises. Elle explique que les interventions publiques sont justifiées pour corriger les défaillances de marché et que le but n’est pas d’augmenter les aides publiques aux ménages mais de les rendre plus efficaces. Elle évoque aussi que de nombreuses aides ne sont pas redistributives, notamment l’aide à domicile, et met en lumière l’importance de revoir les politiques fiscales dans le contexte de la crise climatique.

Anne-Laure Delatte réagit aux commentaires de Philippe De Vreyer, mettant en avant l’augmentation des aides publiques aux entreprises et les choix budgétaires qui ont dû être faits pour financer cette augmentation. Elle questionne l’efficacité de ces politiques et suggère qu’elles ont été financées par une augmentation des taxes sur les ménages et par la réduction des efforts de déficit.

Anne-Laure Delatte soulève aussi l’importance de réévaluer les politiques d’aide aux entreprises et propose de conditionner les aides existantes à des investissements substantiels dans la transition énergétique, plutôt que de les supprimer complètement.

Conclusion

Le séminaire AGIR #5 a non seulement souligné les défis interconnectés posés par le changement climatique sur les finances publiques, mais a également révélé l’importance d’une approche multidisciplinaire pour développer des stratégies financières et économiques adaptées. Les experts ont convenu que la transition écologique nécessite des investissements capitaux significatifs, une refonte des politiques fiscales et un renforcement des infrastructures publiques.

Les débats ont fait ressortir l’urgence d’intégrer la durabilité environnementale dans les cadres budgétaires et l’impératif d’aligner les incitations fiscales avec les objectifs de décarbonation. Un consensus s’est dégagé sur le fait que les dépenses actuelles, bien que parfois considérables, manquent d’efficacité et de ciblage stratégique. La nécessité d’une évaluation rigoureuse des politiques en place, en vue de les conditionner ou de les réorienter vers des actions plus vertes, a été un thème récurrent.

En somme, pour relever le défi climatique, il faut non seulement des actions immédiates, mais aussi une vision à long terme pour une gestion financière qui soutient une transition juste et inclusive.

Les auteurs