Candidater
Comprendre le monde,
éclairer l’avenir

Organisé autour de thématiques clés du programme de la gouvernance, ce nouveau cycle de séminaires a été lancé par El Mouhoub Mouhoud, le président de l’Université Paris Dauphine – PSL, le 21 mai 2021. Cette première conférence-débat soulève les questions de la sélection, de la diversité et des inégalités d’accès à l’enseignement supérieur.

Inégalités d’accès aux grandes écoles
 

Synthèse de l’intervention de Julien GRENET

Grâce à des données riches et inédites, l’étude publiée par l’Institut des politiques publiques1 et présentée lors du séminaire AGIR, documente l’évolution du recrutement des grandes écoles depuis le milieu des années 2000, selon plusieurs dimensions : composition sociale, origine géographique des étudiantes et étudiants, et répartition selon le genre.

Malgré les dispositifs d’« ouverture » qui ont été mis en place par certaines grandes écoles pour diversifier le profil de leurs étudiantes et étudiants (programmes de parrainage et d’accompagnement de lycéenes et lycéens d’origine sociale défavorisée, voies d’admission parallèle, dispositifs d’aide financière et de soutien en faveur des étudiantes et étudiants boursier(e)s sur critères sociaux), la base de recrutement de ces institutions d’élite est restée très étroite et n’a guère évolué au cours des quinze dernières années.

En 2016-2017, les étudiantes et étudiants issus de catégories socioprofessionnelles (PCS) très favorisées (cadres et assimilés, chef(fe)s d’entreprise, professions intellectuelles et professions libérales) représentaient 64 % des effectifs des grandes écoles, alors que seulement 23 % des jeunes de 20 à 24 ans et 47 % des étudiantes et étudiants inscrits dans des formations d’enseignement supérieur de niveau bac+3 à bac+5 étaient issus de ces catégories sociales. À l’inverse, les étudiantes et étudiants des grandes écoles n’étaient que 9 % à être issus de PCS défavorisées contre 36 % parmi l’ensemble des jeunes de 20 à 24 ans et 20 % parmi les étudiantes et étudiants de niveau bac+3 à bac+5.

Dans les 10 % des grandes écoles les plus sélectives, la part des étudiantes et étudiants d’origine sociale très favorisée atteint presque 80 %.

Le recrutement géographique des grandes écoles apparaît également très concentré, particulièrement dans les plus sélectives d’entre elles. Alors que dans les cohortes considérées, 3 % des individus ont effectué leurs études secondaires à Paris et 16 % dans les autres départements d’Île-de-France, 8 % des étudiantes et étudiants des grandes écoles ont passé leur baccalauréat à Paris et 22 % dans des lycées franciliens. Dans les 10 % des écoles les plus sélectives, ces proportions s’élèvent respectivement à 17 % et 24 %.

Les grandes écoles se caractérisent enfin par une forte sous- représentation féminine. En 2016-2017, les femmes représentaient 55 % des effectifs des formations de niveau bac+3 à bac+5 mais seulement 42 % des effectifs des grandes écoles et seulement 37 % des effectifs des grandes écoles les plus sélectives. Cette sous-représentation est particulièrement marquée dans les écoles d’ingénieurs (26 % de femmes) alors que les écoles de commerce présentent, en moyenne, une répartition équilibrée selon le genre.

Les inégalités d’accès aux grandes écoles selon le milieu social, l’origine géographique et le genre sont largement prédéterminées, en amont, par l’accès inégal aux formations de premier cycle qui y préparent : les classes préparatoires et les écoles post-bac. Or, les inégalités d’accès à ces filières ne s’expliquent qu’en partie par les écarts de performance scolaire entre les groupes considérés : ce facteur explique moins de la moitié des inégalités sociales d’accès aux grandes écoles et moins de 20 % des inégalités géographiques d’accès. A fortiori, les performances scolaires ne contribuent aucunement à expliquer la sous-représentation des femmes dans les grandes écoles.

Ces inégalités renvoient donc principalement à d’autres facteurs : freins d’ordre socio-culturel et psychologique, asymétries d’information en matière d’orientation ou encore barrières financières et géographiques dans l’accès aux filières sélectives.

L’impuissance des dispositifs d’ouverture sociale mis en œuvre depuis le milieu des années 2000 à amorcer une démocratisation des grandes écoles met en lumière les limites de l’approche qui a été jusqu’à présent privilégiée : un foisonnement d’initiatives locales, sans réelle coordination nationale et rarement évaluées. Ce constat d’échec invite à repenser les leviers qui pourraient être mobilisés pour diversifier le recrutement des filières sélectives et favoriser une plus grande circulation des élites.


Sélection(s) et sélectivité sociale et territoriale dans les filières de sciences humaines de l’enseignement supérieur

Synthèse des interventions de Pauline Barraud de Lagerie et Elise Tenret

La présentation, issue d’un récent rapport de recherche2, part du constat que peu de travaux ont été réalisés sur les filières de sciences humaines dans l’enseignement supérieur et qu’on assiste progressivement à un brouillage des frontières entre filières sélectives (traditionnellement les CPGE) et filières non sélectives, avec le développement notamment de licences sélectives dans les universités.
Nous nous intéressons plus précisément au profil des candidats, admis et inscrits en Licence Sciences des Organisations (LSO) à l’Université Paris Dauphine – PSL, et les comparons notamment à ceux de Sciences Po et des licences sélectives de Paris 1. Les données mobilisées ont été mises à disposition de la recherche par Sciences Po, Université Paris Dauphine – PSL, le SIES et la DEPP.

Les étudiantes et étudiants de l’Université Paris Dauphine – PSL : caractéristiques et sélectivité sociale comparés aux autres filières de sciences humaines

Les étudiantes et étudiants de l’Université Paris Dauphine – PSL sont fortement sélectionnés scolairement et socialement, à l’instar des étudiantes et étudiants de Sciences Po (96 % de mentions Très Bien et Bien à Dauphine – PSL, 97 % à Sciences Po ; 81 % de classes supérieures et moyennes supérieures à Dauphine – PSL, 85 % à Sciences Po3). La sélectivité territoriale est en revanche sensiblement différente, puisque Dauphine – PSL est caractérisée par un ancrage très francilien qui contraste avec le recrutement plus national de Sciences Po.

Si l’on se penche sur le cas de Dauphine – PSL, on constate que cette sélectivité scolaire et sociale est très liée au profil des candidats. On observe en effet que les étudiants qui candidatent à Dauphine – PSL sont « sur sélectionnés » scolairement par rapport aux étudiants entrant dans l’enseignement supérieur. Ensuite, la sélection pratiquée par Dauphine – PSL conserve finalement assez largement la structure sociale des candidats.

L’étape de la candidature apparaît ainsi comme un palier essentiel pour comprendre le profil des étudiantes et étudiants recrutés à l’Université Paris Dauphine – PSL, puisqu’on assiste notamment à une concentration des candidatures issues de certains établissements.

En effet, si 40 % des lycées en France n’ont envoyé aucun(e) candidat(e) en 4 ans4, 68 lycées en ont envoyé en moyenne plus de 30 par an. Et en fin de compte, plus du tiers des étudiantes et étudiants inscrits en première année de LSO proviennent de ces «gros envoyeurs» qui ne représentent pourtant que 2 % de l’ensemble des lycées français.

Quelle démocratisation permise par les programmes d’ouverture sociale ?

Dans les années 2000, des programmes d’ouverture sociale ont vu le jour à l’Université Paris Dauphine – PSL et à Sciences Po : les conventions éducation prioritaire (CEP) créées à Sciences Po en 2001 et le programme égalité des chances (EDC) créé à Dauphine – PSL en 2009. Si ces programmes reposent sur des modalités de sélection des étudiantes et étudiants distinctes, ils partagent plusieurs caractéristiques communes, comme le fait de s’appuyer sur un partenariat avec des lycées identifiés comme prioritaires, lesquels sont parfois identiques entre les deux institutions.

Ces deux programmes ont permis l’entrée dans les deux institutions de profils d’étudiantes et étudiants moins favorisés : entre 2014 et 2018, un tiers des étudiantes et étudiants entrés par le programme Égalité des chances à l’Université Paris Dauphine – PSL sont issus de milieux populaires.

Les étudiants passés par le programme EDC sont par ailleurs issus d’établissements moins favorisés scolairement et socialement que les établissements traditionnellement pourvoyeurs de candidat(e)s à Dauphine – PSL.

Deux nuances doivent néanmoins être apportées. D’abord, on peut repérer une forte hétérogénéité sociale et scolaire des établissements du programme EDC, dont on constate par ailleurs que les étudiantes et étudiants les plus favorisés sont les plus enclins à intégrer Dauphine – PSL. Ensuite, les étudiantes et étudiants entrés à Dauphine – PSL par le programme EDC représentent moins de 7 % des inscrit(e)s en première année. Cela invite à poursuivre la réflexion sur les moyens de promouvoir l’égalité des chances à Dauphine – PSL, à travers ce programme mais aussi dans le cadre plus large de la sélection sur la plateforme de candidatures Boléro.

Élise HUILLERY, économiste, professeure à l’Université Paris Dauphine – PSL (LEDa) 

« Je tiens à saluer la qualité des deux rapports présentés ici en matière de collecte de données, de traitement et d’analyse. Ils offrent tous deux un éclairage très complémentaire sur les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur, la première étude portant sur 250 grandes écoles et la deuxième sur des universités sélectives. Les chiffres ci-après résument parfaitement l’état des lieux dans les filières très sélectives : 23 % de CSP très favorisées dans la population, 78 % dans le top décile des grandes écoles. Et inversement : 36 % de CSP défavorisées dans la population et seulement 5 % dans le top décile des grandes écoles. On constate le faible impact des programmes d’ouverture sociale. Ils sont mis en place dans très peu d’établissements scolaires ; ces derniers étant de plus majoritairement sélectionnés sur des critères territoriaux plutôt que sur un ciblage individuel.

Comment agir pour l’égalité des chances ?

Tout se joue en amont de la candidature. Il faut bien entendu agir sur le niveau scolaire mais aussi prendre en compte les freins culturels et psychologiques, ce qu’on appelle l’autocensure : déficit de confiance en soi, manque de sentiments de capacité pour les études supérieures, etc. La disparité des niveaux d’information dans les collèges et les lycées est également très pénalisante. Les programmes d’ouverture sociale doivent être renforcés par une action globale au niveau du Ministère de l’Éducation Nationale qui peut aider à lever des barrières financières et géographiques avec notamment le RSA jeune ou la rehausse des niveaux de bourse. En complément, la bonification des quotas au moment des candidatures pourrait être une option intéressante. » 



Le programme Égalité des Chances à l’Université Paris Dauphine – PSL

Le programme Égalité des Chances, initié en 2009 et soutenu par la Fondation Dauphine, vise à diversifier le recrutement des étudiantes et étudiants dès la première année d’entrée à l’université, en sensibilisant les lycéenes et lycéens de zones « prioritaires » aux études supérieures. Reconnue pour sa politique volontariste en faveur de l’égalité des chances, l’Université Paris Dauphine – PSL a été labellisée « Cordée de la Réussite » en 2010. Ce programme s’appuie sur une collaboration étroite avec 35 établissements partenaires d’Île-de- France mais aussi de Normandie, des Hauts de France et du Grand Est. L’accompagnement des lycéenes et lycéens issus de zones dites sensibles se concrétise par différentes actions : des interventions dans les lycées pour présenter les formations de l’enseignement supérieur, une offre de cours de renforcement scolaire puis un accompagnement des étudiantes et étudiants admis à l’université tout au long de leur parcours avec quelques 150 parrains bénévoles. Sélectionnés sur des critères identiques à tous, la proportion des candidat(e)s « Égalité des chances » représente aujourd’hui près de 9% de l’ensemble des admis en première année à l’Université Paris Dauphine – PSL.

El Mouhoub MOUHOUD, Président de l’Université Paris Dauphine - PSL

« En s’appuyant sur une approche pluridisciplinaire, le séminaire AGIR a pour objectif d’éclairer par la recherche les actions de la gouvernance de notre université. Grâce à la contribution des enseignant(e)s-chercheur(e)s et chercheur(e)s dauphinois(es) ainsi que l’invitation de chercheur(e)s externes, ces séminaires ont pour ambition de nourrir nos stratégies de pilotage et visent à impulser de nouvelles démarches innovantes. »

Les auteurs