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Face aux défis climatiques, comment les labels d'Indication Géographique s'adaptent-ils ?

Les appellations viticoles sont actuellement confrontées à des défis importants en raison du changement climatique. Les événements météorologiques extrêmes, tels que les vagues de chaleur, les gelées tardives et les épisodes de grêle, deviennent plus fréquents et plus intenses, obligeant des appellations renommées telles que celles de Bordeaux à envisager des mesures d’adaptation. De même, l’appellation Champagne est en train de réviser son aire de production exclusive, en place depuis près d’un siècle, pour prendre en compte des nouvelles réalités climatiques1.

Dans la littérature économique, l’adaptation au changement climatique est souvent abordée comme une décision autonome. Elle est généralement comprise comme la capacité d’une exploitation agricole à ajuster ses facteurs de production pour faire face aux nouvelles conditions météorologiques (Bareille et Chakir, 2023 ; Wimmer et al., 2023). 

Cependant, cette approche se révèle difficilement applicable aux productions agricoles régies par des labels d’Indication Géographique (IG). Dans ce contexte, l’adaptation implique la modification des cahiers des charges, élaborés collectivement par les producteurs pour spécifier la zone de production et les règles de production. Cette démarche s’avère délicate, car elle nécessite un consensus parmi les producteurs sur de nouvelles règles de production, potentiellement au détriment de la répartition des bénéfices liés au label, et au risque de compromettre la réputation de ce dernier.

Cet article examine le défi de l’adaptation au changement climatique dans ces filières, et propose une analyse de cette adaptation à la lumière de la théorie des communs. Cette approche offre une grille de lecture permettant d’incorporer dans l’analyse économique les enjeux d’adaptation collective propres aux formes de gouvernance régissant ces filières.

Les labels d’IG : des biens communs agricoles ?

En économie, les biens communs sont définis comme des ressources non excluables, c’est-à-dire des ressources pour lesquelles il est coûteux (mais pas impossible) d’exclure les usagers. Cette caractéristique expose ces ressources à la surutilisation, rendant nécessaire la réglementation de leur utilisation pour garantir une exploitation durable. Un exemple classique de bien commun agricole est celui des canaux collectifs d’irrigation, où l’eau est partagée entre les exploitants de parcelles voisines. Les communs font par extension référence à la forme de gouvernance de ces ressources.

Ces institutions déterminent qui a le droit d’utiliser la ressource, comment elle peut être utilisée, et sous quelles règles de contrôle et d’application

Il s’agit d’une communauté d’individus qui s’appuie sur des institutions distinctes de l’État et du marché pour régir certains systèmes de ressources, dans le but de préserver un bénéfice durable de leur utilisation (Ostrom, 1990). Ces institutions déterminent qui a le droit d’utiliser la ressource, comment elle peut être utilisée, et sous quelles règles de contrôle et d’application.

Dans le cadre de notre étude, la ressource cruciale pour les productions viticoles et fromagères est le terroir. Il englobe l’ensemble des caractéristiques géographiques (pédologiques, géologiques, climatiques, etc.), ainsi que les pratiques agricoles spécifiques à une région donnée, qui influencent la qualité de la production.

Pour protéger l’utilisation du terroir, maintenir les exigences de qualité et un prix de vente permettant de couvrir les coûts liés à la production de qualité, et transmettre au consommateur l’information sur l’origine des produits, les producteurs ont dès le début du XXe siècle créé des labels d’origine, tels que les Appellations d’Origine Contrôlée (AOC), qui ont évolué pour devenir les IG sous la réglementation européenne. Les producteurs ont aujourd’hui la possibilité de définir collectivement un cahier des charges, qui précise la zone de production exclusive à l’échelle de la parcelle, les pratiques de production (comme l’encépagement, la récolte, ou l’élaboration du produit), ainsi que les critères de qualité organoleptique du vin, et les plans de contrôle.

En ce qui concerne la gouvernance du terroir, le label d’IG repose sur une forme d’autogouvernance, les producteurs définissant les règles d’utilisation des terres dans leur région. Cependant, le label d’IG n’est pas une forme de gouvernance collective « pure » au sens d’Ostrom, car l’autorité publique a un rôle prépondérant. Elle reconnaît les labels par décret en tant que certificats d’usages viticoles locaux, fidèles et constants, qui sont des indicateurs du terroir. 

Les conditions d’adaptation des IG au changement climatique

Le changement climatique exerce une pression significative sur les filières agricoles régies par des labels d’IG. Les cahiers des charges et les zones de production ont été conçus au siècle dernier pour correspondre au climat de l’époque. L’augmentation de la fréquence des événements météorologiques extrêmes crée de l’incertitude quant aux rendements futurs de ces productions. Les producteurs éprouvent déjà des difficultés à respecter les cahiers des charges existants, ce qui compromet la qualité de leur production. 

l’autogouvernance des IG doit s’exercer dans un contexte où les intérêts et les convictions des producteurs en matière de changement climatique peuvent diverger.

De plus, au sein d’une même appellation, les impacts du changement climatique peuvent varier en fonction de l’exposition des parcelles et de leur altitude. Par conséquent, l’autogouvernance des IG doit s’exercer dans un contexte où les intérêts et les convictions des producteurs en matière de changement climatique peuvent diverger. Ces conditions mettent sous pression la durabilité des labels d’IG, en complexifiant l’effort collectif des producteurs pour s’accorder sur l’adaptation de leur cahier des charges au climat futur. 

De plus, le succès des IG repose sur la garantie d’une constance des pratiques de production ancestrales, pour lesquelles les consommateurs seraient disposés à payer un supplément. En modifiant les pratiques de production, l’adaptation du cahier des charges serait alors coûteuse sur le plan des efforts marketing pour préserver la croyance en la qualité d’un produit issu d’un processus de production qui a évolué.

Vers une gouvernance collective pour l’adaptation au changement climatique

La réussite de l’adaptation d’une IG dépend donc de la faculté de ses producteurs à s’accorder sur les leviers d’adaptation les plus appropriés aux spécificités de leur terroir. Aussi, le partage d’informations nécessaires à la prise de décision requière l’intégration de l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur de la filière pour tenir compte des attentes du consommateur, des avis d’experts des sciences du climat, ainsi que des organismes de défense et de gestion des IG régissant les règles de production. 

le projet de recherche-action LACCAVE (…) peut se concevoir comme l’entreprise d’une nouvelle forme de gouvernance collective

Dans cette perspective, le projet de recherche-action LACCAVE, coordonné par INRAE entre 2012 et 2021, peut se concevoir comme l’entreprise d’une nouvelle forme de gouvernance collective dans le but de faire émerger des stratégies d’adaptation au changement climatique au sein des filières viticoles (Aigrain et al., 2019). Ce projet a mobilisé conjointement les producteurs, les interprofessions et syndicats, ainsi que des scientifiques, regroupés par région viticole, afin de discuter des stratégies d’adaptation. 

Les stratégies identifiées sont caractérisées à la fois par leur caractère novateur, qui inclut par exemple la possibilité de planter des cépages innovants, et par leur « nomadisme », c’est-à-dire la possibilité de relocaliser les plantations dans de nouveaux espaces. Ces discussions ont permis de révéler les préférences des producteurs pour ces différentes marges d’adaptation, et de mettre en œuvre les innovations réglementaires.

Le cas de l’adaptation des IG au changement climatique montre le besoin d’une analyse économique de l’adaptation au changement climatique tenant compte de l’ensemble de la chaîne de production et de sa gouvernance. En effet, l’échange d’informations doit se faire pour permettre un rapprochement des intérêts des parties prenantes de la filière.

Les auteurs