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Comment la pandémie a-t-elle aggravé la crise du système hospitalier en France ? L’étranglement budgétaire de l’hôpital est une conséquence de l’incapacité du régulateur à maîtriser la dépense de soins en ville.

Article de Brigitte Dormont, économiste, professeure émérite à l’Université Paris Dauphine - PSL

Les comptes de la santé présentés à l’automne dernier éclairent la loi de financement de la Sécurité sociale récemment adoptée. Ils permettent d’analyser les dépenses de santé pour 2022 au regard des tendances longues à l’œuvre jusqu’en 2019 avant la crise de la Covid-19.

Un hôpital français en déficit budgétaire 

En 2022 la consommation de soins et de biens médicaux a augmenté de 3,9% en valeur, une croissance plus dynamique que dans la période avant crise. Le cas des soins hospitaliers attire l’attention : ils sont en 2022 le premier contributeur à la croissance des dépenses, mais leur croissance recouvre en fait une baisse des volumes de soins accompagnée d’une forte augmentation des prix. 

"La diminution des volumes de soins délivrés à l’hôpital public signale vraisemblablement des pénuries créées par la fermeture de lits, faute de personnel soignant"

Cette croissance des prix est due aux mesures adoptées pour restaurer l’attractivité de l’hôpital public : revalorisation du point d’indice et des rémunérations des gardes et des astreintes. Ces revalorisations semblent porter quelques fruits, puisque les directeurs d’hôpitaux parlent d’une légère diminution du nombre de postes vacants. Mais la diminution des volumes de soins délivrés à l’hôpital public signale vraisemblablement des pénuries créées par la fermeture de lits, faute de personnel soignant. 

En 2022, 6 860 lits d’hospitalisation complète ont encore été supprimés (Boisguérin et Gaimard, 2023), sans que l’on sache si le développement des hospitalisations en ambulatoire (sans nuit à l’hôpital) permet de compenser ces pertes de capacité d’accueil. Une crise prédite par les observateurs du système de soins depuis plusieurs années à cause de l’austérité budgétaire imposée à l’hôpital public.

Le pilotage de la dépense de santé en cause

En France, le pilotage de la dépense de santé porte sur l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie, ou Ondam. Il s’agit de la part des dépenses de santé couverte par la Sécurité sociale. La Sécurité sociale étant financée par des prélèvement obligatoires, l’approbation de l’Ondam passe donc logiquement par la représentation nationale (lors du vote de la Loi de financement de la Sécurité sociale, ou LFSS), et que le régulateur se préoccupe du pilotage de cette dépense. 

Revenons à la crise de l’hôpital. Pourquoi le pilotage de l’Ondam a-t-il créé une telle pénurie de moyens ? Si l’on considère la décennie précédente hors Covid, on observe que les économies demandées pour les dépenses publiques de santé prises dans leur ensemble furent modérées en France, mais qu’à l’intérieur des dépenses de santé, les efforts demandés à l’hôpital ont été très importants. De fait, l’étranglement budgétaire de l’hôpital peut être vu comme une conséquence indirecte de l’incapacité du système de soins français à maîtriser la dépense en ville. 

“Concrètement, depuis 2010, le respect de l’Ondam est obtenu par une amputation de l’enveloppe votée pour l’hôpital”

Dans notre système, en effet, les soins en ville sont payés à l’acte et couverts par des remboursements réalisés a posteriori sur la base de tarifs fixés. Aucun mécanisme n’est là pour maîtriser la dépense. En pratique, il y a souvent un dépassement de l’Ondam de ville. Pendant des années, ce dépassement a été apuré en puisant dans le budget de l’hôpital. Concrètement, depuis 2010, le respect de l’Ondam est obtenu par une amputation de l’enveloppe votée pour l’hôpital, amputation prenant la forme de réserves permettant d’absorber les dépenses non prévues en médecine de ville. 

Ces vases communicants budgétaires ont constitué une facilité à la fois technique et politique, car elle permettait de maîtriser facilement la bourse d’un côté, tout en évitant les conflits politiques du côté de la médecine de ville. Au total, la dépense publique de santé (l’Ondam) est maitrisée et progresse modérément, mais au prix d’un étranglement progressif de l’hôpital

Une détérioration progressive des conditions de travail à l'hôpital

Au cours des années 2010, la menace s’est précisée avec des restrictions toujours plus marquées car en plus de l’amputation de l’Ondam hospitalier par les réserves, l’enveloppe proposée par les différents budgets était toujours inférieure aux dépenses prévues, des limitations justifiées par l’hypothèse que des gains d’efficience sont toujours possibles. 

“Un cas emblématique était celui de la pédiatrie en Ile-de-France, dont un quart des lits ont été fermés”

En plus de la baisse du pouvoir d’achat de leurs rémunérations, commune à tous les agents publics, les personnels hospitaliers ont vu leurs conditions de travail se dégrader du fait de la diminution des moyens. Un seuil a été franchi à l’automne 2019, lorsque des difficultés à recruter ont été observées. Au-delà des réductions de capacités planifiées, des lits ont été fermés à cause de l’impossibilité de recruter aux salaires proposés. Un cas emblématique était celui de la pédiatrie en Ile-de-France, dont un quart des lits ont été fermés. 

Depuis lors, les responsables politiques ont quand même pris conscience de la crise d’attractivité de l’hôpital. Les mesures du Ségur, et celles prises sur les rémunérations en 2022, ont été suivies d’autres revalorisations en 2023, confirmées pour 2024. Les montants ne sont pas négligeables : 2,8 Md€ en année pleine, dont déjà 1,9 Mds€ en 2023. Notons toutefois que l’amélioration du pouvoir d’achat offerte par ces revalorisations est en partie annulée par l’inflation.

Mais les problèmes de l’hôpital ne portent pas que sur les salaires. La pression sur les coûts a conduit les directeurs d’hôpitaux à diminuer le nombre d’infirmières ou d’aides-soignants dans les services, imposant des rythmes de travail accrus pour ceux qui restent, associés à une gestion à tir tendu des soignants, qui peuvent être mobilisés à tout moment de façon imprévue dans tel ou tel service. Tout ceci a brisé à la fois les solidarités au sein des équipes de soins et les relations avec les patients, éléments relationnels qui fondent la qualité des soins délivrés et le sens du travail. 

“Plusieurs collectifs de soignants réclament une norme de qualité liée à un ratio minimal de soignants par patient”

Concernant la qualité des soins, des expériences menées dans d’autres pays ont montré qu’imposer une proportion minimale de soignants par patients a permis de réduire la mortalité et les ré-hospitalisations non programmées (McHugh et al., 2021). En France, plusieurs collectifs de soignants réclament une norme de qualité liée à un ratio minimal de soignants par patient. Ils soulignent que l’enjeu est la qualité des soins et la motivation à travailler dans des conditions permettant d’éviter le risque d’accidents thérapeutiques, une proposition reprise par un vote du Sénat en février dernier. 

Sur les efforts de réduction des coûts encore demandés à l’hôpital, on peut penser qu’après des années de restrictions budgétaires, les gains d’efficience sur les fonctions support ont trouvé leur limite. Les seules baisses de coût possibles porteraient encore sur la réduction du nombre de soignants par patient, ce qui ne pourrait que dégrader la qualité du service rendu et ajouter au découragement des soignants. 

Une amélioration des budgets des hôpitaux insuffisante

Dans ce contexte la Loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) a-t-elle prévu une amélioration des budgets des hôpitaux pour 2024 ? Certes, la croissance de 3,2% proposée pour l’Ondam hospitalier dépasse l’inflation anticipée (2,6 %). Mais une fois encore, cette croissance est en retrait des évolutions prévues pour les dépenses. Des efforts sont explicitement demandés à l’hôpital à hauteur de 0,5 Md€ pour « renforcer l’efficience ». La même logique est à l’œuvre depuis plus d’une décennie : l’Ondam suppose une augmentation de budget inférieure aux prévisions d’évolution “spontanée” de l’enveloppe nécessaire pour les soins hospitaliers. 

Avec cette nouvelle restriction budgétaire, il est difficile d’envisager un retour à une organisation du travail soutenable pour les soignants qui pourrait restaurer l’attractivité de l’hôpital. Les directeurs de CHU ont ainsi publié un communiqué déclarant que l’inflation et les revalorisations salariales n’étaient pas intégralement compensées dans les budgets et que des déficits importants étaient prévisibles. Sans adhérer automatiquement aux termes d’un texte qui vise à alerter les pouvoirs publics, on peut lire dans la LFSS les « efforts » qui sont demandés à l’hôpital, constater la récurrence, année après année, des restrictions budgétaires, et conclure que cela ne puisse créer que du déficit. 

“La croissance des budgets est désormais en partie absorbée par les revalorisations salariales.”

La rigueur maintenue pour l’hôpital peut être interprétée au regard du plafond d’augmentation des dépenses publiques recommandé par la Commission Européenne. Mais des déficits accrus peuvent aussi mettre la France en difficulté par rapport aux dispositions du pacte de stabilité. Pour l’hôpital, force est de constater que des marges de manœuvre ont été perdues à cause des retards accumulés dans la prise de conscience des problèmes d’attractivité, des déficits et des défauts d’investissement. La croissance des budgets est désormais en partie absorbée par les revalorisations salariales.
Il faudrait au moins éviter de creuser de nouveaux déficits et donc trouver des ressources pour l’hôpital. 

Des inégalités d’accès aux soins de médecine générale

Une autre source d’inquiétude est la question de l’accès aux soins primaires avec un défaut d’engagement d’une partie des médecins sur la permanence des soins. La situation actuelle conduit à des inégalités d’accès aux soins mais aussi à dépenses inutiles, à cause de recours aux urgences qui pourraient être évités. 

“Il est impératif de ne plus toucher au tarif de la consultation”

Avec les discussions rompues lors de la dernière convention médicale, la prévision des dépenses de soins de ville utilisée pour la LFSS ne reprend que les conclusions du règlement arbitral. Or, les syndicats de médecins réclament un tarif de la consultation supérieur aux 26,5 euros proposés, alors que cette proposition correspond déjà à une augmentation substantielle de 6%. Les négociations ont repris, sans déboucher encore pour l’instant, mais de nouvelles dépenses vont être décidées, ne serait-ce que pour augmenter les rémunérations des généralistes. De ce point de vue, il est impératif de ne plus toucher au tarif de la consultation, mais de jouer plutôt sur des forfaits qui permettraient de mieux maîtriser la dépense en ville et de rémunérer plus efficacement le service rendu à la population.

Où trouver des ressources pour restaurer l’hôpital et relancer les missions de la médecine de ville ?

Le gouvernement a fait circuler l’idée d’un doublement des franchises qui rapporterait, d’après les annonces, 800 millions d’euros. La LFSS ne reprend pas cette idée, tout en laissant la porte ouverte à une décision ultérieure dans ce sens. Une telle mesure dégraderait le pouvoir d’achat des Français modestes, déjà sérieusement entamé par l’inflation sur l’énergie et l’alimentation et dernièrement par la hausse annoncée des primes des complémentaires santé (+8% en moyenne pour 2023). En outre ce sont les plus malades qui devraient dépenser plus, ce qui contreviendrait à la solidarité entre les malades et les biens portants, principe fondateur de la Sécurité sociale. 

Pour dégager des ressources, la meilleure solution est de revenir sur les exonérations de cotisations sociales sur les salaires compris entre 2,5 et 3,5 SMIC. Les réductions de cotisations employeur visaient à réduire le coût du travail pour encourager l’emploi et la compétitivité. L’appliquer aux salaires supérieurs à 2,5 SMIC était discuté au départ par nombre d’économistes, car il n’y a pas de problème de chômage pour les salariés très qualifiés, et leurs salaires n’influencent pas la compétitivité. 

“Cette décision ferait revenir 2 milliards d’euros de cotisations à la Sécurité sociale, de quoi restaurer la confiance à l’hôpital et mieux organiser la médecine de ville”

Cette politique a été évaluée récemment par le Conseil d’analyse économique, qui conclue que ces exonérations de cotisations n’ont eu aucun effet sur le chômage et la compétitivité, une conclusion corroborée par France Stratégie. Cette décision ferait revenir 2 milliards d’euros de cotisations à la Sécurité sociale, de quoi restaurer la confiance à l’hôpital et mieux organiser la médecine de ville. 

Une solution qui a soulevé les objections du patronat et a été abandonnée au profit d’une mesure timorée de gel de ces exonérations. Restituer ces cotisations au financement de la Sécurité sociale serait pourtant la solution la plus logique et la plus fondée par des arguments économiques.
 

Références

Les auteurs