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L’utilisation du bois pour la cuisson est une source majeure de pollution aux particules fines, particulièrement pour les femmes. Une expérimentation au Burkina Faso explore si la transition vers le gaz de cuisson pourrait améliorer la santé en réduisant cette exposition.

Au Burkina Faso, l’investissement des femmes dans la préparation des repas les expose fortement à la pollution aux particules fines (PM2.5). Passer au gaz permet-il de réduire l’exposition ?

Les inégalités de genre en défaveur des femmes sont largement documentées dans de nombreuses sphères de la vie quotidienne. Malgré des progrès, les inégalités demeurent importantes dans les pays à bas revenus et les États fragiles.

L’exposition aux particules fines, problème majeur de santé publique

Cet article documente, pour le Burkina Faso, un aspect peu connu de ces inégalités : l’exposition aux fumées de cuisine. En Afrique subsaharienne, la population utilise majoritairement des sources d’énergie polluantes pour cuire les repas, contrairement au reste du monde. C’est un enjeu majeur de santé publique, car l’exposition aux PM2.5 est liée à un risque de mortalité accru, expliquant en partie l’excès de mortalité chez les femmes adultes dans cette région1.

Au Burkina Faso, près de 83 % de la population utilise le bois comme combustible principal pour la cuisson. La pollution de l’air y est un enjeu majeur. Selon l’OMS, la concentration médiane annuelle en PM2.5 dans l’air ambiant est de 37 µg/m3, soit près de 7 fois le seuil maximal recommandé. À Ouagadougou, la concentration moyenne sur 24 heures dans les espaces de cuisine peut dépasser les 100 µg/m3. Ceci suggère des niveaux d’exposition très élevés pour les femmes et les jeunes enfants, qui passent beaucoup de temps à proximité des foyers de cuisson. La pollution de l’air est le deuxième facteur de risque de décès au Burkina Faso.

Changer de mode de cuisson pour réduire l’exposition ?

Une étude de l’Université Paris Dauphine-PSL et d’une équipe burkinabè, financée par l’Agence Française de Développement, a collecté des données sur la consommation de combustibles et l’exposition aux PM2.5 dans la région centre-sud du Burkina Faso. L’équipe a testé l’efficacité de deux interventions pour inciter les ménages à abandonner les combustibles polluants au profit du Gaz de Pétrole Liquéfié (GPL), dont la combustion génère très peu de particules fines.

En 2021, environ 2,3 milliards de personnes utilisaient des combustibles solides pour cuisiner. La pollution de l’air intérieur due à la combustion du bois et du charbon est un enjeu majeur de santé publique, responsable d’environ 2,3 millions de décès dans le monde en 2019. Les femmes sont particulièrement exposées. Les efforts pour promouvoir les foyers à biomasse efficaces en énergie ont été décevants en termes de réduction de l’exposition à la pollution de l’air et de la santé. Les États et les agences d’aide au développement cherchent maintenant à inciter les ménages à utiliser des technologies plus modernes et moins polluantes : l’électricité et le gaz. Cependant, les connaissances scientifiques sur la transition vers le gaz de cuisson et ses impacts sur la santé sont encore limitées. L’expérimentation REDGAS, dont il est ici question a pour objectif de contribuer à la connaissance sur ces sujets.

REDGAS : évaluation randomisée de deux dispositifs d’incitation à transiter vers le gaz

REDGAS est une expérimentation aléatoire évaluant un dispositif de facilitation de l’accès au gaz inspiré de celui déployé au Burkina Faso par l’ONG Entrepreneurs du Monde et son partenaire local Nafa Naana. L’expérimentation propose aux ménages des solutions d’achat de réchauds à gaz (à crédit ou à prix réduit) pour lever les barrières à l’utilisation.

L’évaluation porte sur un modèle de cuiseur à gaz répandu en Afrique de l’Ouest, équipé d’une bouteille de gaz GPL de 6 kg, coûtant 25 000 francs CFA (38,1 euros). L’expérimentation est menée auprès de 805 ménages dans trois villes moyennes, où la pollution ambiante est relativement faible, pour identifier les effets de l’accès au gaz sur la pollution de l’air domestique. Au printemps 2022, les ménages ont été assignés aléatoirement à trois groupes : deux groupes « traités » (1 et 2) et un groupe témoin. 

Les ménages du groupe 1 ont reçu une offre d’achat du réchaud au prix du marché avec paiement en trois échéances ; ceux du groupe 2 ont reçu une offre d’achat à prix subventionné (réduction de 38 %) ; ceux du groupe 3 n’ont reçu aucune offre. Tous les ménages ont été enquêtés avant et après l’intervention. Les caractéristiques socio-économiques, la consommation de combustible, la détention d’un réchaud à gaz et l’exposition aux PM2.5 ont été relevées. L’utilisation des réchauds acquis a été monitorée pendant six mois à l’aide de capteurs.

Que peut-on espérer d’un abandon du bois au profit du gaz comme combustible de cuisine ?

Les effets attendus de l’intervention pour les ménages traités sont une adoption plus fréquente du réchaud à gaz, induisant une baisse de la consommation de bois et de l’exposition aux particules fines. Avant l’intervention, l’exposition aux particules fines des femmes en charge de la cuisine était mesurée à un niveau moyen extrêmement élevé : 180 µg/m3, soit plus de 10 fois le seuil recommandé par l’OMS (15 µg/m3). Utilisant le rapport de risque linéaire de 1,0065 par 10 µg/m3 adopté par l’OMS, on estime que ce niveau d’exposition augmente de 12,4 points de pourcentage le risque de mortalité par rapport à une situation exempte de pollution. Cette forte exposition est liée à la consommation de bois des ménages, évaluée en moyenne à 5,2 kg par jour.

Il faut cependant se garder de penser que l’emploi du GPL est une panacée. La combustion du gaz émet du dioxyde d’azote, un puissant irritant respiratoire, et les évolutions récentes des connaissances sur la toxicité de ce gaz ont amené l’OMS à revoir à la baisse les niveaux maximums d’exposition recommandés.

Il serait nécessaire de prendre en compte ce polluant pour avoir une mesure plus précise des effets sanitaires de l’intervention. Mais la complexité et le coût élevé de la mesure de l’exposition aux polluants atmosphériques sur un échantillon de grande taille nous ont conduit à limiter l’étude aux émissions de particules fines.

Des résultats mitigés

L’expérimentation montre que la levée des barrières liées au prix des réchauds à gaz et à l’absence de liquidités est efficace pour inciter les ménages traités à changer de mode de cuisson : post intervention, 49 % des ménages ayant reçu une offre d’achat à crédit et 75 % de ceux ayant reçu une offre à prix réduit ont acquis un réchaud, contre 22 % dans le groupe témoin. Cependant, ces acquisitions n’ont pas conduit à la baisse attendue de la consommation de bois, mais à son maintien et à une augmentation de la consommation totale d’énergie des ménages traités (+15 % par rapport au groupe témoin). 

Il s’ensuit que l’exposition aux PM2.5 n’est pas plus faible dans les ménages traités comparés aux ménages témoins. Ces résultats décevants résultent de l’augmentation de la consommation d’énergie permise par l’emploi des réchauds à gaz et d’une modification des habitudes alimentaires : plus de repas chauds sont préparés (+9 %) par rapport à la moyenne de 1,75 repas préparés quotidiennement dans le groupe témoin, probablement en raison de la facilité d’emploi des réchauds à gaz comparés au mode de cuisson au bois traditionnel.

L’environnement du ménage doit être pris en compte

Les données renseignent sur la façon dont les ménages se procurent le bois : par collecte dans l’environnement ou par acquisition sur le marché. Les résultats montrent que pour les ménages achetant leur combustible, les offres d’achat à crédit ou à prix subventionné conduisent à une fréquence d’achat plus élevée et à une utilisation plus intensive des réchauds. Il s’ensuit une légère baisse, statistiquement significative, de la consommation de bois (-670 grammes) et une diminution de 17 % de l’exposition aux PM2.5, également significative. L’intervention n’a aucun impact sur la consommation de bois et l’exposition aux particules des ménages collectant leur bois.

Cette expérimentation est la première à évaluer les effets du crédit et de subventions ciblées sur l’adoption du gaz et l’exposition aux particules fines. Elle complète les résultats d’autres expérimentations ayant démontré des baisses d’exposition aux PM2.5 parmi des ménages ruraux suivant la distribution gratuite de cuiseurs à gaz, complétée par un accès illimité à des recharges de gaz gratuites durant un an et l’envoi de messages téléphoniques réguliers rappelant aux ménages de ne pas utiliser le bois. Ces expérimentations sont coûteuses et trop éloignées des pratiques quotidiennes pour être étendues à la population générale. Les résultats de REDGAS sont en ce sens plus crédibles et utiles à la conception des politiques publiques.

L’étude montre qu’au Burkina Faso, en facilitant l’accès au crédit des ménages pauvres ou en subventionnant les réchauds à gaz, les pouvoirs publics peuvent accroître la diffusion de modes de cuisson propres dont l’emploi exclusif pourrait réduire cette exposition. Les femmes, principales responsables de la cuisine, sont les premières utilisatrices de ces réchauds, dont la diffusion pourrait significativement améliorer leur santé. Mais l’environnement du ménage doit être pris en compte. Ceux qui collectent leur bois aux alentours de leur domicile sont moins susceptibles de changer de mode de cuisson. Par ailleurs, la relation entre l’exposition aux PM2.5 et la morbidité, voire la mortalité, des personnes exposées n’est pas linéaire et à des niveaux élevés de concentration, la variation de cette concentration a peu d’impact sur l’état de santé. Lorsque l’air ambiant est particulièrement chargé en particules, notamment en raison de la circulation de véhicules à moteur thermique, il n’est pas sûr que la réduction permise par le passage au gaz produise les effets sanitaires attendus.

Notes & Références

  1. Bongaarts, J. and C. Guilmoto (2015), « How Many More Missing Women? Excess Female Mortality and Prenatal Sex Selection, 1970–2050 », Population and Development Review, 41(2) : 241–269

Les auteurs