Candidater
Comprendre le monde,
éclairer l’avenir

L'état du management - Chapitre IV | Les études montrent qu’un rééquilibrage des décisions financières en faveur des femmes au sein des couples bénéficierait aux familles et à l’économie dans son ensemble.

Marie Aude LAGUNA, Maître de conférences, Université Paris Dauphine – PSL, DRM


Les femmes épargnent moins que les hommes et, lorsqu’elles placent leur argent, investissent moins en Bourse, un placement pourtant plus rentable à long terme. En France, elles représentent 30% des investisseurs individuels actifs. Au niveau mondial, elles détiennent environ 30% des actifs financiers, 40% si l’on inclut les actifs immobiliers. Elles sont en proportion moins nombreuses que les hommes à détenir un compte bancaire et à demander un crédit bancaire. Connaissances et pratiques financières étant fortement corrélées, leurs connaissances des fondamentaux de la finance demeurent en deçà de celles des hommes.  

Ces résultats sont paradoxaux à plusieurs égards. Les femmes ont une espérance de vie plus longue, et sont plus lourdement touchées par les aléas de la vie familiale. Leurs perspectives de carrière, leur taux d’emploi, et leurs revenus espérés chutent drastiquement après la naissance d’un premier enfant, en cas de divorce, et en cas de veuvage. En théorie, les femmes devraient donc épargner davantage en prévision de tels chocs et lisser ainsi leurs revenus tout au long de la vie.  

En pratique néanmoins, l’autonomie financière des femmes demeure entravée par une répartition toujours inégalitaire des rôles sociaux au sein des familles et des entreprises. Ainsi, très tôt, les femmes s’orientent vers des métiers moins rémunérateurs, et participent davantage aux tâches domestiques et à la vie familiale. Elles sont en outre le plus souvent exclues des grandes décisions patrimoniales, que ce soit dans la gestion des finances du couple ou au sein de la famille.  

Dans ce chapitre, j’aborde deux aspects de l’indépendance financière des femmes, l’émancipation par le travail en première partie, l’autonomie financière par l’épargne en seconde partie. Enfin, j’étudie les choix financiers à l’échelle du ménage, et les défis posés en matière d’inégalité de genre, en dernière partie. En recensant partie de la littérature académique la plus récente, l’objectif de ce chapitre est aussi de rendre hommage à des chercheuses qui ont été pionnières sur ces questions.  

L’autonomie financière des femmes a avant tout été permise par leur entrée massive sur le marché de l’emploi au XXème siècle. Pour autant, la répartition des rôles au sein des sociétés demeure inégalitaire avec une sous-participation structurelle des femmes au monde du travail et aux emplois les mieux rémunérés. Plusieurs études fondatrices ont démontré que les écarts de genre en matière salariale ont fortement diminué au cours du 20ème siècle avant d’atteindre un plateau à la fin des années 80. Aujourd’hui en France, le salaire des femmes demeure inférieur de 28% à celui des hommes ; ce différentiel étant pour l’essentiel imputable aux types d’emplois occupés comme au volume de travail. Ce sont dans les professions les plus rémunératrices, pour lesquelles un vivier de femmes diplômées du supérieur existe pourtant, que les écarts de salaire et de carrières demeurent incompressibles. En outre, nous savons que les mères de familles (en comparaison des pères) sont systématiquement sous-représentées en haut de l’échelle des salaires. Selon la chercheuse Claudia Goldin, prix Nobel d’Economie en 2023 dont j’étaye la thèse dans ce chapitre : « L'écart de rémunération entre les sexes serait considérablement réduit et pourrait disparaître complètement si les entreprises n'étaient pas incitées à récompenser de manière disproportionnée les personnes qui travaillent de longues heures et à des horaires bien particuliers. »  

Il en découle une inégalité de revenus au sein des couples qui entrave le pouvoir de négociation des femmes et leur émancipation en cas de conflits. Fait aggravant, en se mariant, les femmes abandonnent le plus souvent la responsabilité de leurs finances personnelles en matière d’épargne et de patrimoine à leurs conjoints. Or, selon la théorie des discriminations développée par Gary Becker, l’exclusion financière des femmes si elle est imputable à des stéréotypes de genre, et non à leur désavantage comparatif en matière financière, est nécessairement inefficace et devrait se résorber avec le temps.  

Dans la deuxième partie du chapitre, j’invite donc tout d’abord à nuancer l’inculture financière des femmes. Tout d’abord, l’écart homme-femme n’est pas colossal puisque les connaissances financières des femmes correspondent, hors variables de contrôle, à 85% de celles des hommes. Plus important, les travaux de Anna-Maria Lusardi démontrent que l’inculture financière des femmes est généralement surestimée dans les enquêtes, car les femmes plus souvent que les hommes répondent « je ne sais pas » aux questions posées. Ainsi, un tiers de l’écart de genre observé (de l’ordre de 15% à la défaveur des femmes donc) serait en fait imputable à une sous- estimation de leurs connaissances financières par les femmes elles-mêmes.  

Enfin, dans la troisième partie de ce chapitre, je présente les quelques rares travaux qui ont analysé les décisions financières prises au sein des couples. Une étude portant sur l’Italie montre que les ménages où les femmes sont décisionnaires en matière financière ont plus de chance d’investir sur les marchés boursiers et de diversifier leurs portefeuilles, indépendamment d’autres facteurs comme le pouvoir de négociation au sein des couples ou les diplômes de chacun. Une seconde étude montre par ailleurs qu’il existe une forte corrélation négative entre le taux de d’investissement sur les marchés boursiers et les stéréotypes de genre à l’échelle internationale. 

Ainsi, en Italie, Grèce et Autriche, près de 30% des enquêtés par le World Values Survey sont d’accord avec l’assertion que les hommes devraient avoir la priorité sur les femmes en matière d’emploi en cas de récession, alors que la France et Allemagne se situent dans la moyenne des pays développés en matière de taux d’investissement boursier et de stéréotypes de genre. Dans l’ensemble, les études semblent bien indiquer qu’un rééquilibrage des décisions financières en faveur des femmes au sein des couples bénéficierait aux familles et à l’économie dans son ensemble.  

­

Cet article est le résumé d'un chapitre de L'état du management 2024, qui dresse le panorama annuel des recherches du laboratoire Dauphine Recherches en Management (DRM).

Les auteurs