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La ruralité attire et séduit, mais le maintien des populations locales reste un défi. Une communication des pouvoirs publics axée sur le bien-être quotidien, la nature et les services apparaît comme une stratégie essentielle pour renforcer l’attachement des résidents à leur territoire.

La campagne est le pays du bonheur écrivait Jules Renard dans son journal. 81% des Français semblent d’accord avec lui et considèrent le monde rural « agréable à vivre »1. Ce caractère « agréable » de la ruralité confronte les territoires ruraux à de forts enjeux, notamment concernant le bien-être des résidents. Car si la ruralité est souvent vantée pour la valeur de son cadre de vie, elle est aussi régulièrement l’objet de discours plus négatifs, marqués par le manque d’infrastructures, de services publics ou l’absence d’animations sociales ou culturelles. Que ce soit dans sa version positive ou négative, ce discours fait du bien-être, que l’on peut définir comme un « sentiment général d’agrément, d’épanouissement suscité par la pleine satisfaction des besoins du corps et/ou de l’esprit »2 un enjeu crucial des politiques publiques qui visent à renforcer l’attractivité des territoires ruraux et contribuent in fine à garantir une cohésion nationale.

Le bien-être et l’attractivité qu’il génère sont deux enjeux pivots du marketing territorial. Les travaux de recherche actuels se sont concentrés sur les mécanismes visant à être attractifs, à faire venir des populations de l’extérieur, et moins à maintenir les populations résidentes. A contrario, cet article s’intéresse au maintien et à l’implication des résidents ruraux sur leurs territoires.

Le bien-être et l’attractivité dépendent de nombreux aspects objectifs, notamment matériels : l’emploi et le revenu, la présence de services publics, d’infrastructures, le paysage, les aménagements urbains, les opportunités de loisirs etc. Mais ils dépendent aussi d’éléments plus immatériels, comme l’identité, l’attachement ou l’image du territoire. Autrement dit, les représentations du territoire sont clairement de nature à influencer le bien-être. Elles permettent de comprendre le lien qui unit les résidents à leur territoire, de définir l’identité́ d’un territoire en puisant directement dans l’expérience quotidienne des résidents. Compte-Pujol et al (2018) indiquent ainsi que, pour être efficaces, les politiques d’attractivité doivent entrer en congruence avec les représentations du territoire.

La communication territoriale, telle qu’exercée aujourd’hui et implémentée par les pouvoirs publics, est largement dominée par des représentations d’un rural idéal (voire idéalisé ?), aussi appelé « rural idyll », mettant en avant les aménités naturelles des territoires ruraux (i). Or, l’étude des représentations montre qu’elles embrassent plusieurs dimensions et différents registres d’expression (ii). Nous verrons notamment que les représentations sont exprimées tantôt de façon hédonique (plaisir) tantôt de façon symbolique (tradition). La communication hédonique est la plus efficace pour renforcer le bien-être et le maintien des résidents (iii). Et, contrairement à ce qui est dit dans la littérature académique et dans les médias, cette communication hédonique ne concerne pas seulement les résidents secondaires (iv), mais aussi les résidents principaux qui se reconnaissent dans les différents types de rural idyll.

Une communication territoriale organisée autour d’un rural idyll « nature »

La communication territoriale mise en œuvre par les autorités publiques en charge du développement rural s’inscrit dans un consensus implicite : mettre en avant la qualité de vie autour des aménités naturelles de ces espaces. L’étude des supports de communication de l’État, des collectivités et des associations d’élus montre en effet que la « qualité de vie » est considérée comme l’atout principal des espaces ruraux. Meuse attractivité parle de « qualité de vie inégalée ». Pour Esprit Creuse, « des points forts il y en a (…) une qualité de vie, que certains nous envient. ». La ruralité est envisagée comme l’espace de la nature. Même lorsqu’un village est représenté de façon imagée, le marketing territorial rural met en scène un paysage naturel ouvert sur un grand espace. On retrouve cette représentation dans les éléments textuels. Meuse attractivité vante « la proximité de la nature » ou encore « un territoire unique et riche de nature ».

Ces espaces naturels offrent aux résidents des opportunités multiples : économiques quand il s’agit d’évoquer le potentiel forestier des Vosges (« Je vois la vie en Vosges ») ou récréatif, notamment en termes d’activités sportives. Dans Esprit Creuse (figue 1), un résident valorise « le Lac de Vassivière et tout le potentiel d’activités nautiques que l’on peut y pratiquer ».

Entre activités professionnelles, mais aussi récréatives, la qualité de vie rurale se distinguerait par la possibilité de mener une vie faite de « plaisirs fondamentaux et d’équilibre » (Meuse attractivité, figure 1). Je vois la vie en Vosges affiche comme objectif : « nous œuvrons pour un mode de vie équilibré ».

Figure 1 : images représentant un paysage naturel

Esprit CreuseMeuse Attractivité

Les représentations des résidents vont pourtant au-delà du rural idyll « nature »

Ces représentations corroborent un désir de nature présent dans notre société. Ce « rural idyll » nait d’une critique vive faite au monde urbain et au mode de vie qu’il offre (Short, 2006). En effet, la ville est l’objet de représentations négatives, faite de contraintes et assimilée à des problèmes de congestion ou de pollution. A contrario la ruralité devient un espace-refuge. D’ailleurs, la crise de la Covid-19 a provoqué, en France et dans le monde, lors des confinements successifs, une réaffirmation de cette représentation de la ruralité refuge des espaces urbains qui ont été délaissés. L’Insee considère qu’1,4 million de français a quitté les grandes villes à cette période (INSEE). Si cette tendance ne s’est pas traduite par un exode urbain massif par la suite, il a confirmé le regain d’intérêt pour les territoires ruraux dans les choix résidentiels.

Néanmoins, certains chercheurs ont critiqué la représentation de la ruralité comme une simple idylle, arguant que cette représentation est avant tout portée par des urbains de catégories socio-professionnelles supérieures, notamment des journalistes (Caitucoli et al., 2023) qui voient dans la ruralité l’occasion de se rapprocher de la nature sur leur temps libre, le week-end ou les vacances (Shucksmith, 2018). La ruralité serait ainsi souvent représentée dans les médias et les travaux de recherche par d’autres voix que celle des résidents ruraux eux-mêmes.

Pour mieux comprendre la réalité des représentations associées à la ruralité, nous avons conduit 20 entretiens semi-directifs auprès d’un panel de résidents principaux et secondaires de divers territoires ruraux Français : l’Allier, l’Ariège, l’Aisne, la Creuse, la Haute-Vienne, la Haute-Marne, la Lozère, la Seine-Maritime et la Corse-du-Sud. Les résidents ont été interrogés lors de séjours dédiés sur les territoires précités. Des prises de contact préalables ont eu lieu avec certains élus locaux notamment. Nos résultats témoignent de représentations particulièrement variées. Sans surprise, le rural idyll « nature » est confirmé comme un élément déterminant de l’identité de la ruralité. En effet, la ruralité est représentée comme un espace naturel aux multiples bienfaits : calme, sérénité, opportunités de loisirs en plein air, etc. Mais le rural idyll se révèle aussi « social », qui renvoie à la ruralité comme un espace de relations sociales denses, dans lequel la solidarité s’exerce fortement entre habitants.

À l’opposé, des représentations plus négatives émergent, que l’on peut catégoriser sous le vocable « rural hell ». Elles sont partagées surtout par des résidents principaux qui expriment un sentiment d’abandon très fort, surtout de la part des pouvoirs publics. L’impression que la ruralité est traitée de façon inégale avec le monde urbain est largement ressortie de nos entretiens. Cela concerne notamment la carence de services aux publics fondamentaux comme la Poste, l’Éducation nationale ou encore la santé. Alors même que les communes dans lesquelles nous avons enquêté n’avaient pas connu de fermetures de ces services, la représentation que « tout ferme » en ruralité est largement partagée. Souvent, cette représentation s’exprime sous la forme d’une revendication pour plus de services aux publics.

On voit se dessiner une expression hédonique, valorisant le plaisir de l’expérience vécue en ruralité, et une expression symbolique, valorisant plutôt la ruralité dans ce qu’elle signifie en termes de patrimoine pour les résidents. Ces deux expressions se retrouvent aussi bien dans le rural idyll « nature », « social » et « services ».

Il y a donc un enjeu à communiquer selon une approche plutôt hédonique ou symbolique, en étudiant la manière dont les résidents principaux et secondaires s’identifient plutôt à l’une ou à l’autre.

L’efficacité d’une communication hédonique sur toutes les dimensions du rural « idyll »

Dans le cadre d’une grande expérimentation en ruralité, nous avons testé l’impact de la communication (hédonique vs symbolique) sur l’appréhension du bien-être et l’intention de rester sur le territoire, puis exploré si cet effet était différent pour les résidents principaux et secondaires. Pour ce faire, nous avons conduit 3 études expérimentales, en simulant le discours d’un maire rural tenu lors d’une réunion publique locale et évoquant les atouts et faiblesses de sa commune. Nous avons imaginé un discours pour les trois dimensions du rural « idyll », à savoir le rural idyll « nature », « social » et « services ». Ce discours était tantôt hédonique, tantôt symbolique, chaque résident répondant à l’enquête étant aléatoirement confronté soit à une communication hédonique soit à une communication symbolique. C’est donc un total de 6 scénarios qui ont servi de base à l’expérimentation. L’étude 1 (rural idyll « nature » hédonique vs symbolique) s’est déroulée auprès de 240 résidents du département de Saône-et-Loire. L’étude 2 a été déployée auprès de 224 résidents du département de l’Orne (rural idyll « social » hédonique vs symbolique). Enfin, l’étude 3 s’est déroulée auprès de 240 résidents du département de l’Aveyron (rural idyll « services » hédonique vs symbolique).

Nos résultats montrent que la communication hédonique (visuel relatant une expérience agréable et plaisante de la ruralité) a beaucoup plus d’impact que la communication symbolique (visuel relatant un héritage à préserver et un ensemble de valeurs à perpétuer) sur l’intention de rester sur le territoire. Ce lien est statistiquement significatif pour deux des trois études expérimentales conduites.

Il est surprenant de noter que cela concerne autant le rural idyll « nature », que les dimensions « social » et « services ». La ruralité serait donc plus valorisée pour ce qu’elle offre concrètement sur les trois dimensions du rural idyll que pour ce qu’elle signifie symboliquement en termes d’espaces et de valeurs. Il s’agit plus d’une jouissance immédiate et d’une expérience quotidienne que d’un ancrage dans une histoire tournée vers un passé à préserver. Nous pouvons expliquer ce point par le fait que la ruralité a historiquement beaucoup évolué dans ses usages. Loin de n’être plus qu’un espace agricole ou un espace aux valeurs traditionnelles, la ruralité est de plus en plus vue comme un espace d’agrément dans lequel on recherche une expérience de vie agréable (Urbain, 2008). Les habitants de la ruralité aspirent aussi à se tourner vers l’avenir, à faire partie du futur du pays.

Un effacement des frontières entre résidents principaux et secondaires

On aurait pu penser que le primat de la communication hédonique, orientée plaisir, sur la communication symbolique, orientée valeurs, concerne essentiellement les résidents secondaires. Mais, de manière surprenante, ce résultat concerne la population rurale dans son ensemble, résidents principaux comme résidents secondaires. Cela rompt avec ce que l’on trouve dans la littérature. En effet, les recherches sur le rural idyll se sont plutôt attachées à mettre en exergue des supposés conflits de représentations entre résidents principaux et secondaires notamment dans sa dimension « nature », les uns et les autres ayant des usages différents voire opposés de l’espace rural. En effet, les résidents secondaires vivraient plutôt la ruralité selon ce qu’elle a à offrir pour se reposer ou se divertir quand les résidents principaux auraient a priori un usage moins hédoniste et plus matériel, par le fait qu’ils vivent en permanence et travaillent dans ces territoires.

Ce qui est frappant dans nos résultats, c’est que la communication, qu’elle soit hédonique ou symbolique sur un rural idyll « nature », procure un niveau de bien-être plus important pour les résidents principaux que pour les résidents secondaires. Ce lien a été vérifié statistiquement dans notre étude portant sur les 240 résidents de la ruralité. Ce résultat nous éloigne des nombreuses mises en scènes médiatiques qui montent en épingle un conflit de représentations entre les résidents principaux et les résidents secondaires des territoires ruraux. Les résidents principaux se révèlent au moins également attachés à un cadre de vie idyllique. L’image du résident principal rural qui subit son environnement est mis à mal par celle d’un habitant qui saisit toute la mesure du plaisir de vivre au sein d’un environnement naturel.

En réalité, les résidents principaux sont surtout sensibles à une communication positive sur les territoires ruraux, que celle-ci concerne le rural idyll « nature », « social » ou « services », et ce quel que soit le registre hédonique ou symbolique. Notre étude montre avant tout la force d’une communication autour d’un idéal de bien-être dans les territoires ruraux. Mais c’est plutôt en mettant l’accent sur la dimension hédonique centrée sur le plaisir procuré par le contexte rural que les autorités publiques renforceront l’attractivité de leur territoire. Ces derniers doivent avoir à l’esprit que le bien-être en ruralité procède avant tout d’une communication positive sur les atouts de la nature, de la présence de relations sociales resserrées et de la présence de bouquets de services publics étoffés.

 

Notes & Références

  1. Étude IFOP réalisée en 2023 pour Familles Rurales sur les perceptions de la ruralité

  2. « Bien-être », in Dictionnaire du corps, Paris, PUF, coll. Quadrige, M. Marzano (dir.), 2007, p. 127-131


Bailly, Antoine, et Lise Bourdeau-Lepage (2011) « Concilier désir de nature et préservation de l'environnement : vers une urbanisation durable en France ». Géographie, économie, société, Vol. 13(1) : 27-43

Caitucoli, Paul-Mathieu, Valérie Guillard, et Fabrice Larceneux (2023). « Go Home! Beyond the Urban–Rural Divide in France: An Analysis of How ‘Mental Proximity’ Benefits Territorial Development ». Regional Studies : 1-10

Compte-Pujol, Marc, Jordi de San Eugenio-Vela, et Joan Frigola-Reig (2018). « Key Elements in Defining Barcelona’s Place Values: The Contribution of Residents’ Perceptions from an Internal Place Branding Perspective ». Place Branding and Public Diplomacy 14, no 4 : 245-259

Guibet Lafaye, Caroline (2007). « Bien-être » In Marzano, M. Dictionnaire du corps. PUF, coll. Quadrige : 127-131

Shucksmith, Mark (2018). « Re-Imagining the Rural: From Rural Idyll to Good Countryside ». Journal of Rural Studies 59 : 163-172

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