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Dossier | Dauphine Digital Days 2022 "IA & société" - Les actes #1

« IA, Data & Media » : Comment les données modifient les consommations des contenus culturels et contribuent à de nouveaux modèles de monétisation des contenus audiovisuels

Publié dans IA & Numérique 7 mn - Le 27 novembre 2023

Pour les acteurs des secteurs culturel et audiovisuel, le recueil et l’utilisation des données est devenu un sujet central…

Table ronde animée par Henri Isaac, maître de conférences, Université Paris Dauphine – PSL avec Thomas Bouabca, Director of Data Science, Deezer, Violaine Degas, Chief Digital Officer, Les Échos, Jimi Fontaine, Chief Data Officer, Mediaperformance, Mathieu Gbetro, Advanced TV Director, Freewheel

Voici trois exemples distincts, montrant à quel point l’intelligence artificielle et le big data peuvent se révéler précieux pour les sociétés concernées, présentés et questionnés par Henri Isaac, enseignant-chercheur à l’Université Paris Dauphine - PSL : « Nous allons nous intéresser au rôle et à la place des algorithmes de recommandation dans la consommation musicale, avec Thomas Bouabca de Deezer. Puis, nous allons entrer dans la transformation du modèle des médias, avec Violaine Degas du groupe Les Echos Le Parisien, avec qui nous allons aborder la place de la donnée dans le modèle économique d’un média historique. Et nous chercherons à comprendre avec Mathieu Gbetro de Freewheel ce que la donnée vient faire dans le modèle de la publicité télévisée… »

Deezer affine sa recommandation

La recommandation de contenus est un sujet essentiel pour la licorne française. Permettant à ses clients d’accéder sans cesse à de nouveaux artistes, elle fait partie intégrante de ses arguments de vente. Justement, pour la produire, Deezer utilise leurs données. Et de l’intelligence artificielle.

Explications de Thomas Bouabca, directeur des data sciences de Deezer : « Nous avons des millions de contenus, que ce soient des titres musicaux, des albums, des artistes, ou encore des playlists, créées par nos équipes éditoriales. La question de l’accès est majeure. Les algorithmes de recommandation sont justement un moyen pour accéder à ce contenu et s’imposent comme un élément clef de différenciation ». Il n’est pas non plus question d’imposer à l’auditeur ce qu’il doit écouter, au contraire. « L’algorithme de recommandation représente environ 20 % de nos streams au quotidien. Il est une aide, une assistance, à utiliser si on le souhaite seulement ». Ceux qui préfèrent créer leur propre playlist ou chercher leur musique dans la barre de recherche sont bien entendu libres de le faire.

Alors, comment fonctionne cette recommandation, concrètement ? D’abord via une catégorisation du contenu musical, grâce aux métadonnées de chaque titre : l’artiste, la date de sortie, le genre musical… « Ensuite, les données d’usages de nos utilisateurs entrent dans la danse : ce qu’ils écoutent, ce qu’ils mettent en librairie, ce qu’ils aiment ou non. Cela nous permet de définir un profil musical à chaque utilisateur et de lui faire des recommandations ciblées ». Pour cela, Deezer opte pour une première approche basée sur la similarité des contenus. 

Sa seconde approche : le « collaborative filtering ». Quand un client va écouter deux chansons l’une après l’autre, cela crée un lien entre ces deux titres. « Au niveau individuel, cela n’a pas beaucoup de sens, mais si on étudie des millions de personnes, cela crée des patterns. Et cela nous aide à affiner nos recommandations ».

Cela est particulièrement pertinent pour la musique, dont la consommation est différente de celles des films, par exemple. « Nous avons moins tendance à revoir plusieurs fois des films, alors qu’en musique, on écoute, réécoute. La chanson peut être associée à des souvenirs, de la nostalgie, et en même temps, on a envie de s’ouvrir, de découvrir de nouveaux titres. Nous jonglons donc sur ces deux aspects », souligne Thomas Bouabca. De quoi assouvir à la fois notre amour d’un tube de notre jeunesse et notre envie de nouveaux horizons.

Les Echos capitalisent sur les données

Le digital est un sujet clef pour le quotidien économique : il représente 50 % de son chiffre d’affaires. « Nous avons déjà fait les premiers pas de notre transformation digitale. Comme tous les éditeurs de presse, nous avons deux principales sources de revenus, qui se sont complètement digitalisées : les abonnements et la publicité », déclare Violaine Degas, chief digital officer des Echos. Cela n’est pas anodin : en France, sur le seul premier semestre de 2021, le marché de l’e-pub pesait 4,3 milliards d’euros. Deux tiers de ce montant est détenu par
les GAFAM.

Pour le volet publicité, le média cherche à capter les données de ses lecteurs. « Nous misons sur la "first party data", la donnée collectée directement par l’éditeur. Pour cela, nous nous sommes équipés d’une DMP, une data management platform, attribuant un segment au visiteur dès sa première visite. Beaucoup de personnes viennent sur notre site simplement pour lire un article, cela était donc essentiel ».

L’objectif : inciter au maximum les lecteurs à créer un compte, afin de recueillir leurs données et leurs habitudes de consommation. Pour cela, les newsletters sont des moyens efficaces de récupérer les adresses mail des internautes. « Nous en avons désormais presque 40, sur des sujets très variés, adressées à deux millions de personnes ». Des articles accessibles seulement aux inscrits sont également mis en ligne depuis 2022, à côté des sujets ouverts à tous et de ceux réservés aux abonnés. Les lecteurs peuvent également mettre en place des alertes par mail, si des actualités touchant un secteur les intéressant sont publiées. Là encore, c’est l’occasion de récupérer ces précieuses données…

La publicité ciblée, l'avenir de la télé avec Freewheel ?

La télévision et sa publicité sont aujourd’hui en pleine mutation. Jusqu’ici, peu importe où elle était regardée, une chaîne diffusait ses programmes et leurs coupures pub partout en France, au même moment. Sauf que depuis fin 2020, l’État autorise de nouvelles expérimentations, qui pourraient complètement changer cette donne. « Il est possible de tester ce que l’on appelle un décrochage publicitaire. Sur un certain nombre de minutes, une publicité sera sur-imprimée sur une publicité déjà existante. Vous regardez la télévision, il est prévu de passer une publicité Mercedes, mais dans votre contexte, votre localisation, vous verrez celle de Coca Cola », explique Mathieu Gbetro, directeur Advanced TV de la société FreeWheel, spécialisée dans ces technologies.

Attention, cela ne concerne qu’un petit nombre de télévisions. La moitié de la consommation de télévision se fait via une box, l’autre moitié est déjà hors d’atteinte. Toutes les box ne sont de plus pas éligibles à ce système. « Et enfin la question du consentement se pose. Une pop-up demande si l’on peut proposer des publicités basées sur la donnée. In fine, nous sommes ici sur une proportion très faible d’utilisateurs pour le moment ». Le consentement est en effet essentiel : le téléspectateur peut à tout moment refuser d’être touché par ces campagnes ciblées.

Parmi ses clients, la société FreeWheel observe deux typologies de campagnes. La première s’adresse à de nouveaux annonceurs, qui n’étaient jusqu’ici pas dans la ligne de mire de la télévision. « Par exemple, ce sont des PME, qui annoncent en ligne, mais pour qui le ticket d’entrée de la télévision nationale était trop élevé. Maintenant, sachant que nous pouvons cibler uniquement une zone géographique avec des tarifs moins élevés, une petite entreprise de Saint-Malo pourra s’offrir un spot diffusé dans sa région, pour une somme plus accessible », pose Mathieu Gbetro, précisant que TF1 et France Télévisions ont tous deux créé des plateformes, afin de faciliter l’arrivée de ces nouveaux clients, découvrant cet univers.

La seconde clientèle : les annonceurs plus traditionnels, qui visent une clientèle plus restreinte. « Quand vous achetez de la publicité en télévision, il y a toujours de la déperdition par rapport à l’audience visée. Avec la télévision segmentée, cela nous permet d’être plus précis, ou de faire de la complémentarité, en ciblant par exemple des personnes qui n’ont pas vu la publicité la veille ». Une étude d’impact commandée par le ministère de la Culture est actuellement en cours, afin d’évaluer cette nouvelle pratique.

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