Dossier | Dauphine Digital Days 2022 "IA & société" - Les actes #1
Les travaux de deux jeunes chercheurs grâce à l’intelligence artificielle
Chacun sur une thématique bien spécifique, Juan Imbet et Evgenia Passari présentent l’objet de leurs recherches. Leur point commun : l’intelligence artificielle leur a été précieuse, afin d’obtenir leurs résultats…
Juan Imbet, Assistant Professor, Université Paris Dauphine – PSL, Evgenia Passari, Associate Professor, Université Paris Dauphine – PSL
Juan Imbet : Tweeting for money : les médias sociaux et les flux de fonds communs de placement
Diplômé de l’Université Pompeu Fabra de Barcelone, Juan Imbet est aujourd’hui enseignant à l’Université Paris Dauphine – PSL. L’objet de ses recherches actuelles : l’impact que peuvent avoir des tweets sur des investisseurs. « Mes travaux sont une application de la manière dont l’intelligence artificielle et les méthodes de machine learning peuvent nous aider à répondre à un certain nombre de questions en économie financière », explique-t-il. Le machine learning lui a permis d’analyser de grandes quantités de données.
Une communication directe
Grâce à ces outils, il s’est penché sur l’analyse des réseaux sociaux et de l’impact que ceux-ci peuvent avoir sur le choix d’investir. « On estime que depuis juillet 2022, 4,74 milliards de personnes utilisent les réseaux sociaux, pendant pratiquement 2h30 par jour. Naturellement, il existe des inquiétudes grandissantes quant au potentiel risque de mauvaises informations. Et ce sont des éléments que les régulateurs financiers observent de près ». Aux États-Unis, le cas le plus connu est sans doute celui de Michael Burry, investisseur à l’origine du « Big Short », dont certains tweets ont induit en erreur des personnes le suivant, ce qui lui a valu un procès. La SEC (Securities and Exchanges Commission) américaine a également affiché un fort intérêt face au compte Twitter d’Elon Musk, et avant même qu’il ne rachète la plateforme.
Les acteurs de l’investissement, comme tous les secteurs, voient l’intérêt de ces plateformes, qui rassemblent des millions, voire des milliards d’utilisateurs. « Ces sites permettent de communiquer directement avec des investisseurs, potentiels ou réels. D’où la question à la base de ce projet de recherche : les entreprises peuvent-elles transformer la perception des investisseurs, grâce à leur compte Twitter ? », questionne Juan Imbet, qui s’est penché sur l’industrie compétitive de l’asset management. Il estime qu’aux États-Unis, 27 trillions de dollars sont générés par des mutual funds.
Observer les réactions
Il a alors pris 1,6 million de tweets, datant de 2009 à 2020, de quelque 284 funds families : « L’idée de cet article scientifique est d’essayer de comprendre le contenu de ces tweets, leur ton, et d’observer les réactions des investisseurs. C’est là que le machine learning devient utile ! Il permet, de façon supervisée, d’identifier les tweets, pour voir s’ils sont positifs, négatifs, neutres… »
Le chercheur observe alors trois thématiques principales émergeant de ces comptes : des sujets liés au service client, des discussions sur les événements économiques, et des conseils financiers. Son constat est sans appel : les fonds qui tweetent positivement ont bel et bien tendance à recevoir plus d’argent le mois suivant. Et d’autant plus s’ils produisent des contenus en commentant et en analysant le marché, et en donnant des conseils d’investissement.
Evgenia Passari : les origines des fluctuations des prix des produits de base
Evgenia Passari enseigne également à l’Université Paris Dauphine PSL. Diplômée de la Cass Business School à Londres, la chercheuse travaille sur un sujet d’actualité : elle cherche à analyser l’origine des fluctuations de prix des matières premières. Son article a été coécrit avec Sarah Mouabbi de la Banque de France et Adrien Rousset-Planat de London Business School. « Notre motivation est de comprendre les raisons sous-jacentes des mouvements de prix des matières premières. C’est très important, car selon les évolutions de l’offre et de la demande, cela peut avoir une forte importance macroéconomique : croissance économique, ressources financières des différents pays, inflation, taux de change… ». Ces marchés sont également scrutés de près par les investisseurs.
Plus de cinq millions d’articles
Dans ses travaux, la chercheuse a considéré aussi bien les cycles commerciaux, les catastrophes naturelles, ou encore les risques géopolitiques. « Nous nous sommes basés sur un dataset très important, de plus de cinq millions d’articles de journaux, à la fois grand public et de presse spécialisée. Un algorithme vient alors analyser les mots et les combinaisons de mots, via une approche semi-supervisée », souligne-t-elle. Grâce à l’intelligence artificielle, la chercheuse a pu travailler sur des produits aussi variés que le blé, le gaz, ou le pétrole.
Suivre les évolutions du marché
À la suite de ces travaux, Evgenia Passari propose de nouveaux indices pour le marché de l’offre et de la demande, basés sur cette analyse textuelle, mesurant à la fois l’intensité et la teneur des informations, afin de suivre de près les principales évolutions de ces marchés : « Ces outils se révèlent particulièrement intéressants à la lumière des événements récents, car nous voyons à quel point ces évolutions ont des impacts macro-économiques, sur les entreprises, mais aussi sur la volatilité des marchés boursiers ».