Candidater
Comprendre le monde,
éclairer l’avenir

Géopolitique, Droit, Société

Ouvrage | Covid-19 : regards croisés sur la crise

Crise sanitaire et responsabilité du dirigeant de société

11 mn - Le 01 mars 2021

Le nouveau contexte législatif, lié à la crise sanitaire, vient sérieusement inquiéter les dirigeants de société et d’autres groupements comme les associations car ils sont directement visés par la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020.

Ils risquent d’engager leur responsabilité pénale au titre, par exemple, de l’homicide involontaire, de la mise en danger de la vie d’autrui (Amazon), des blessures involontaires ou encore de la nonassistance à personne en danger comme dans l’affaire CGT c/ Carrefour après le décès d’une salariée. Pour ce faire, il convient de montrer que le dirigeant n’a pas répondu à son obligation de santé/ sécurité et qu’il existe un lien de causalité entre l’inexécution de cette obligation et l’existence du préjudice. Certes un risque existe. Toutefois, il convient d’en tempérer la réalité car la nouvelle loi prévoit une appréciation de la conduite du dirigeant in concreto c’est-à-dire en tenant compte de son champ d’action au moment des faits. Par ailleurs, le lien de causalité sera difficile à prouver compte tenu du caractère multifactoriel de la contamination.

L’épidémie de Covid-19 qui frappe le monde entier depuis plusieurs mois, modifie l’ensemble des comportements quotidiens de tous. Si chacun d’entre nous a dû faire face à ce risque nouveau en s’adaptant et en se protégeant, il en est de même des dirigeants d’entreprise qui ont dû s’adapter tant pendant les phases de confinement, de déconfinement et de reconfinement.

À ce jour, en pleine crise sanitaire et alors la France connaît une nouvelle période de confinement, les dirigeants de société doivent être vigilants au moment où ils mettent en place des mesures pour protéger les salariés dans un contexte incertain. 

Ils sont exposés, comme le prouve les nombreuses actions pénales, qui ont déjà été engagées. La cour de justice de la République et le Parquet de Paris ont été saisis de dizaines de plaintes1. Plus de soixante plaintes auraient été déposées auprès du Procureur de la République de Paris.

C’est dans un contexte d’urgence et d’incertitude extrême que la loi n° 2020-546 du 11 mai 20202 est venue modifier le Code de la santé publique en y insérant l’article L. 3136-2.

Ce texte dispose que « L’article 121-3 du code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire, ainsi que de la nature de ses missions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur ».

Nouveau contexte, nouveaux textes, nouveaux risques pour les dirigeants de société qui peuvent engager leur responsabilité pénale.

Le nouveau contexte législatif crée un risque réel pour le dirigeant de société qu’il conviendra, toutefois, de nuancer.

Crise sanitaire et responsabilité du dirigeant : existence du risque

Les clés du nouveau contexte législatif lié à la crise sanitaire

La loi n° 2020-546 du 11 mai 20203 a créé un nouvel article L. 3136-2 du Code la santé publique.

Les chefs d’entreprise mais également les dirigeants d’association et les élus sont, depuis l’adoption de ce texte, hantés par la crainte de voir leur responsabilité pénale engagée, du fait de la contamination de leurs collaborateurs par la Covid-19.

On pourrait rebaptiser cette loi « Triste anniversaire de la loi Fauchon » en date du 10 juillet 2000.

La loi du 10 juillet 2000 dite « loi Fauchon » a modifié l’article 121-3 du Code pénal pour assurer l’équilibre entre une pénalisation excessive des faits non intentionnels et une déresponsabilisation de leurs auteurs. 

Le législateur a introduit, au bénéfice des seules personnes physiques, une distinction selon que le comportement imputé au prévenu a causé directement ou indirectement le dommage pour restreindre le champ de la répression. Lorsque le lien de causalité entre le comportement fautif et le dommage est indirect, les juridictions doivent relever une faute qualifiée. Le prévenu n’est responsable pénalement que s’il a commis une faute d’une particulière gravité, alors qu’en cas de causalité directe, une faute simple suffit.

La loi du 11 mai 2020 vise à la fois des élus locaux mais également les dirigeants de société ou d’association4. D’où une certaine angoisse pour chacun à sa lecture.

Le Sénat, percevant l’inquiétude des dirigeants de société et des élus locaux, a essayé de les rassurer dans le cadre du débat sur la loi de prolongation de l’état d’urgence sanitaire en votant un amendement relatif à l’irresponsabilité des élus locaux et des dirigeants de société face à la Covid-195. Cet amendement a été supprimé par l’Assemblée Nationale6 qui craignait que cela ne passe pour une amnistie générale.

In fine, la loi de prolongation de l’état d’urgence sanitaire a préféré préciser dans le nouvel article L. 3136-2 du Code la santé publique que « l’article 121-3 du Code pénal est applicable en tenant compte des compétences, du pouvoir et des moyens dont disposait l’auteur des faits dans la situation de crise ayant justifié l’état d’urgence sanitaire ainsi que la nature de ses misions ou de ses fonctions, notamment en tant qu’autorité locale ou employeur ».

Le Conseil constitutionnel a validé le nouvel article L. 3136-2 du Code de la santé publique comme la loi7.

Les chefs d’entreprise, les dirigeants de société sont donc contraints de composer avec le risque pandémique. 

La loi du 11 mai 2020 intègre la Covid-19 dans l’obligation générale de santé / sécurité des salariés à laquelle est tenu l’employeur / chef d’entreprise.

Ils risquent des poursuites pénales de la part de leurs salariés qui ont contracté la Covid-19 ou qui craignent pour leur santé dans le cadre d’une exposition lors de leur exercice professionnel.

Parmi les risques en matière pénale on peut citer :

  • L’homicide involontaire ;
  • La mise en danger de la vie d’autrui (Amazon) ;
  • Les blessures involontaires ;
  • Non-assistance à personne en danger : pour exemple l’affaire CGT c/ Carrefour après le décès d’une salariée. Le syndicat fait valoir que la mise en place des vitres en plexiglas protégeant les caissières a été trop tardive.

La responsabilité du dirigeant pourra être retenue dès lors qu’il sera prouvé qu’il n’a pas accompli toutes les diligences normales que l’on attend de lui pour répondre à son obligation de santé / sécurité à l’égard de ses salariés comme prévue par la loi et les règlements. Tout manquement ou négligence sera répréhensible, on peut penser à un défaut de surveillance ou encore à un défaut d’information ou de formation.

Il faudra également prouver concernant les infractions prévues par la loi Fauchon un lien certain entre la violation de l’obligation de santé / sécurité et l’exposition au risque de blessure ou de mort.

Pour terminer l’analyse de la loi du 11 mai 2020, il convient de préciser que le législateur apporte une précision à l’attention des juges. Il insiste sur l’importance de contextualiser l’appréciation des moyens, des compétences, du pouvoir du chef d’entreprise à l’époque des faits. 

On en revient donc à l’appréciation in concreto de la loi Fauchon. 

Quels sont les dirigeants potentiellement responsables ? 

Les personnes pénalement responsables peuvent être le dirigeant de droit, le dirigeant de fait ou la personne morale.

Le dirigeant de droit est celui qui est désigné par les statuts de la société. Il s’agit de la personne qui détient les pouvoirs de direction. À titre d’illustration, on peut citer le gérant de la SARL, le président ou le directeur général de la SAS, ou encore pour la SA le Directeur général ou le président directeur général en cas de cumul des fonctions.

Le dirigeant de fait peut être pénalement responsable. La Cour de cassation l’a défini comme « celui qui en toute indépendance et liberté exerce une activité positive de gestion et de direction et se comporte, sans partage, comme "maître de l’affaire" 8 ».

C’est celui qui va exercer une « activité positive de gestion et de direction de l’entreprise sous le couvert et au lieu et place du représentant légal »9. C’est ainsi que dans cette affaire un chef de chantier, salarié de la société, a été déclaré coupable de blessures involontaires et d’infraction relative à la sécurité des travailleurs, pour avoir mis à la disposition des salariés des panneaux de coffrage inappropriés aux travaux à effectuer. Il a été déclaré coupable de ces infractions en sa qualité de dirigeant de fait d’une SARL, chargé à ce titre de fournir un matériel de protection conséquent.

Il relève du pouvoir souverain des juges du fond de retenir ou non l’existence d’une direction de fait. Les juges recherchent la personne qui détient réellement le pouvoir de direction. Ils recherchent si la personne :

  • recrutait le personnel ; 
  • se présentait comme le directeur, organisait le travail (Cass. crim., 11 déc. 2012, n° 11-88.643) ; 
  • engageait financièrement l’entreprise (acquisition d’un engin de chantier) ;
  • était la seule personne en relation avec lui (Cass. crim., 25 juin 2013, n°12-84.810).

La personne morale peut également être tenue pour responsable. Pour retenir sa responsabilité, l’infraction doit avoir été commise par un organe ou un représentant de la personne morale et elle doit avoir été commise pour le compte de la personne morale.

Comment le dirigeant peut-il se protéger ?

Il est recommandé au dirigeant de prévoir la preuve des diligences normales qu’il a accomplies et de leur actualisation.

Sur un plan pratique, il lui est recommandé de :

  • conserver les factures d’achat de gel et de masques ;
  • rédiger et conserver des mails à l’attention des salariés édictant les préconisations et restrictions à respecter ;
  • procéder à des affichages systématiques rappelant les règles à respecter et leur mise à jour ;
  • donner des guides actualisés pour transmettre l’information ;
  • dispenser des formations pour le personnel.

Crise sanitaire et Responsabilité du dirigeant : la réalité du risque

Le risque pour les dirigeants existe, les textes le montrent clairement. Toutefois, il convient de mesurer la réalité de ce risque et ce pour plusieurs raisons :

L’appréciation in concreto au secours du dirigeant 

Le législateur rappelle l’importance de contextualiser l’appréciation des moyens, des compétences et des pouvoirs du chef d’entreprise à l’époque des faits.

Cette appréciation in concreto des diligences normales du dirigeant par rapport à l’obligation de santé / sécurité dans le contexte Covid-19 pourra permettre de tenir compte de cette situation particulière au moment des faits. Le juge pénal devra, pour apprécier la responsabilité pénale du dirigeant, considérer les contraintes et les difficultés rencontrées par celui-ci.

La difficile preuve du lien de causalité tempère le risque pour le dirigeant

Pour engager la responsabilité du dirigeant, il convient de prouver le lien de causalité direct et certain entre la violation de l’obligation de santé / sécurité par le dirigeant et la contamination. Or, le risque de contamination peut être multifactoriel. Il sera difficile d’établir que la contamination s’est produite sur le lieu de travail ou en dehors lors des transports par exemple.

On comprend que les nouveaux textes inquiètent les dirigeants de société. Toutefois, ce risque est à tempérer. Comptons sur la sagesse des uns et la prudence des autres pour que des décisions soient rendues le plus équitablement possible.

Notes & Références

  1. Thomas CASSUTO : Crise sanitaire du Covid 19, perspectives et enjeux d’une réponse pénale, AJ Pénal, 2020.
  2. L. n° 2020-546 du 11 mai 2020, JO du 12, art. 1er.
  3. L. n° 2020-546 du 11 mai 2020, JO du 12, art. 1er.
  4. Brigitte CLAVAGNIER : COVID 19 : le risque pénal pesant sur les dirigeants associatifs, Juris Associations 2020, n° 621, p.3.
  5. Sénat, amendement n°COM-51 du 3 mai 2020 : « Nul ne peut voir sa responsabilité de l’état d’urgence sanitaire […], soit exposé autrui à un risque de contamination par le coronavirus SARSCoV-2, soit causé ou contribué à causer une telle contamination, à moins que les faits n’aient été commis :  1° Intentionnellement ; 2° Par imprudence ou négligence ; 3° Ou en violation manifestement délibérée […] d’une obligation particulière de prudence ou de sureté prévue par la loi ou le règlement ».
  6. Ass. Nat., amendement n° CL 325 du 6 mai 2020.
  7. Cons. Const. Décis. n°2020-800DC du 11 mai 2020.
  8. Cass. Com.  10 octobre 1995 :  Pourvoi n° 93-15.553.
  9. Cass. Crim.  23 novembre 2004 : Pourvoi n° 04-80.830.