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Ouvrage | Covid-19 : regards croisés sur la crise

Sortir de la crise sanitaire par une relance verte : une bonne affaire économique !

Publié dans Géopolitique, Droit, Société 10 mn - Le 01 mars 2021

Pour la relance au sortir de la crise sanitaire, la tentation pourrait être forte de privilégier les effets économiques directement observables à court terme (emplois, valeur ajoutée) comme après la crise de 2008.

Nous montrons ici qu’une politique de sortie de crise doit valoriser tous les bénéfices économiques - environnementaux - sanitaires de l’action publique. Par exemple, des mesures de transport décarboné (du vélo au rail) produiront à la fois des effets économiques directs (emplois, valeur ajoutée dans les filières impliquées), environnementaux (réduction de pollutions de l’air qui coûtent à la France environ 50 Milliards/an, atténuation des émissions de CO2) et sanitaires (ces mêmes pollutions tuent 50 000 personnes/an, et fragilisent certaines populations). À titre d’illustration, un focus est proposé concernant la relance du fret ferroviaire. En conclusion, investir 15 milliards dans le rail réduirait des pollutions (CO2, particules, bruit, …) bien plus coûteuses pour la collectivité.

Économie - santé - environnement : l’obligation de faire « d’une pierre trois coups » en phase de relance

La crise économique issue de la crise sanitaire n’a pas de comparable historique, de par sa profondeur (-10 % du PIB mondial au 2ème semestre 2020), de par les traces hétérogènes quelle laissera selon les pays (en fonction de l’efficacité de leur stratégie de traitement de la pandémie, de leur place dans les échanges mondiaux) et selon les secteurs d’activité (les technologies permettant les interactions à distance prenant le pas sur celles permettant la mobilité humaine), … 

Cette circonstance inédite implique de concevoir et mettre en œuvre des politiques de relance également inédites. Très généralement, comme observé après 2008, les politiques de relance privilégient les leviers les plus puissants à court terme, avec un effet sur l’emploi et sur le PIB, mais sans considération des conséquences à plus long terme (notamment en termes d’environnement et de santé publique). Il est manifeste que, pour la France, la stratégie de sortie de crise de 2008 et l’action publique durant les années suivantes n’ont pas permis d’améliorer la « résilience » de notre société aux chocs de la décennie 2010 :

  • la dépendance au pétrole, qui a conduit à la crise des « gilets jaunes » en 2018, n’a pas été réduite, laissant la collectivité à la merci d’un prochain choc du prix du baril ; 
  • la pollution de l’air, qui continue à coûter à la collectivité environ 50 milliards d’euros et à tuer 50 000 personnes en France chaque année (hors Covid-19) n’a pas été sensiblement réduite ; 
  • l’habitat précaire où vivent plus de 3 millions de ménages – dont la santé est fragilisée par ces conditions de vie – a été insuffisamment amélioré;

Autrement dit, les décisions prises pour tenter de rebondir après le précédent grand choc… nous ont mal préparées à affronter le suivant. Pour preuve, la dette publique française avoisinait les 65 % du PIB avant la crise des subprimes, en 2008, et elle sera sans doute du double après la crise de la Covid-19, ce qui indique clairement que la France a pris de front ces chocs majeurs… Et force est de constater que l’exemple de la France n’est pas l’exception comme le souligne l’OCDE (2020)1.

Le problème est que, de surcroît, la pression du changement climatique est venue s’ajouter au cahier des charges de cette sortie de crise sanitaire. Cinq années après l’Accord de Paris, les émissions de gaz à effet de serre ont frôlé en 2019 les 60 milliards de tonnes, contre 55 milliards au moment de la COP 21. Et, comme l’indique l’ONU, la crise sanitaire n’aura qu’un effet négligeable sur le réchauffement climatique. En revanche, une relance verte massivement orientée vers la transition écologique préserverait l’espoir d’une hausse des températures limitées aux alentours de 2°C à la fin du siècle2.

Aussi, à un moment où des contraintes pèseront sur les ressources publiques mobilisables, l’optimisation des ressources engagées dans un effort de relance est la clé. Il est en effet impératif que chaque euro public investi produise le maximum d’effets positifs pour la société, ce qui suppose d’en analyser l’impact économique observable à court et moyen termes, certes, mais plus largement, d’intégrer à la sélection des mesures les bénéfices environnementaux (qui permettront de contenir les menaces du changement climatique) et sanitaires (qui permettront de mieux résister à un prochain choc pandémique), c’est-à-dire de faire d’une « pierre trois coups ». Pour répondre à la forte demande sociale de « résilience » qu’a révélé la crise sanitaire, ce qui constitue un impératif.

Une relance verte autofinancée par ses « bénéfices cachés » ? 

Une politique publique est généralement définie par un objectif direct et des coûts de mise en œuvre, mais peut également présenter des bénéfices additionnels (on parle alors de « co-bénéfices » dans le jargon des économistes). Dans le cadre d’une relance verte, il s’agira sans doute de regarder avant toute chose les gains en emplois (renouvelables, véhicules électriques, bâtiment, …) et les pertes dans les secteurs contraints (véhicules thermiques, aéronautique peut-être, …). Et, en fonction des économies, la balance entre pertes et gains pourra varier : selon l’intensité carbone de la production nationale, c’est-à-dire (grosso modo) la dépendance aux énergies fossiles.

Mais l’essentiel de l’impact économique est « caché » au-delà des effets directement observables sur l’emploi et la valeur ajoutée, étant lié aux usages des technologies vertes et à leurs effets sur la société : amélioration de la santé humaine, réduction des pertes de biodiversité, réduction des chocs climatiques futurs, réduction des risques de pandémie, … . Ainsi, de nombreux travaux de recherche suggèrent qu’atteindre les ambitions de l’Accord de Paris sur le climat (en maintenant la température entre à 1,5° et 2°C à la fin du siècle) permettrait3 :

  • de dégager des avantages en termes de santé évalués entre 40 à 200 dollars par tonne de CO2 évitée (variable selon les pays considérés).
  • de réduire annuellement les morts prématurés de 0,5 million en 2030 et de 1,3 millions en 2050, à l’échelle globale.
  • de diminuer de plus de 5 % du PIB les effets négatifs sur l’économie mondiale lorsque les combustibles fossiles sont remplacés par des énergies propres.
  • au total, la seule amélioration de la qualité de l’air permettrait de couvrir 75 % des coûts de mise en œuvre d’une politique verte alignée avec les objectifs de l’Accord de Paris.

C’est bien dans cette perspective que le Haut Conseil pour le Climat, dans un rapport spécial d’avril 2020, soulignait pour la France le besoin de prendre en compte les co-bénéfices d’une relance qui « doit être verte, pas grise, maximiser les co-bénéfices pour le climat et les écosystèmes, et ne pas verrouiller des trajectoires carbonées. Les synergies entre climat, environnement et santé doivent être renforcées – lutte renforcée contre les pollutions, contre la déforestation importée, amélioration nutritionnelle des régimes alimentaires, évolution des modes de transport »5.

Exemple : rembourser 15 milliards d’investissement dans le fret ferroviaire en france … par les pollutions évitées5

Le fret ferroviaire constitue un bon exemple des effets massifs (mais « cachés  ») d’une mesure de relance verte. L’objectif est de relancer une activité qui peine à sortir du marasme : la part du rail dans le transport de marchandises avoisine les 9 %, bien loin derrière la route (90 %), le solde étant assuré via les fleuves et canaux. Ce chiffre était de 40 % au début des années 1970. En Suisse la part modale du fret ferroviaire est actuellement de 34 %, de 32 % en Autriche ou 18 % en Allemagne.

La plupart de nos voisins ayant des systèmes électriques nettement plus carbonés qu’en France, il y a un « paradoxe » à observer cette érosion du fret ferroviaire au fil des décennies, jamais inversée malgré plusieurs plans de relance dédiés : le large recours à une électricité décarbonée (car nucléaire) permet au rail français d’émettre 8 fois moins de particules que la route et 9 fois moins de CO2 par tonne-kilomètre.

Pour mettre un terme à ce paradoxe, la France va devoir intensifier son soutien public au fret ferroviaire, comme le font les pays plus performants en Europe : la renaissance du fret nécessite l’adaptation massive du réseau (voies de service, triages et caténaires, mises au gabarit des ouvrages d’art pour accueillir des trains longs et lourds, …) et surtout la désaturation des nœuds ferroviaires avec le contournement de différentes métropoles (Lyon, Lille et Paris). Ces efforts de « génie civil » devront être complétés d’une indispensable transition numérique dans la décennie : marketplaces digitales, information en temps réel, maintenance prédictive, trains autonomes peut-être, …

Quel est l’effort financier nécessaire ? Pour doubler la part modale du fret ferroviaire d’ici 2030, et mettre un terme à ce paradoxe français, l’effort d’investissement est estimé à environ 15 milliards d’euros, dont une partie est susceptible d’être prise en charge dans le cadre du Green Deal européen.

Face à un effort aussi considérable – dans une période où de nombreux secteurs d’activité appellent des soutiens – il est indispensable de prendre en compte tous les effets d’un euro engagé. Une étude6 propose d’aller au-delà des observations en termes d’emplois, en estimant les coûts externes susceptibles d’être évités par un doublement de la part modale du fret ferroviaire en France, par une modélisation appuyée sur des données européennes récentes. Ces données recouvrent sept catégories d’externalités (accidentalité, pollution atmosphérique, climat, énergie, habitat naturel, bruit et congestion), et il en ressort que les poids lourds sont à l’origine de 3 à 4 fois plus de coûts externes que le fret ferroviaire à volume équivalent transporté en France.

Dans cette étude, sont évalués les effets jusqu’en 2040 d’un doublement de la part du ferroviaire, selon différents scénarios de croissance du volume de fret (en envisageant une récession durable, ou au contraire une relance induisant des relocalisations industrielles, …), de progrès technique dans le rail (réduction du bruit par amélioration des systèmes de freinage) ou la route (mobilité à l’hydrogène). La conclusion de ces différents scénarios est que le doublement de la part modale du ferroviaire permettrait d’éviter entre 15 et 30 milliards d’euros d’externalités négatives sur les deux prochaines décennies, soit plus que l’investissement initial.

Par temps de crise où chaque euro public et privé devra être « pesé », un tel effet de levier ne peut être ignoré. Et, surtout, il s’agit d’éviter que la France soit le « maillon faible » dans une Europe qui s’est fixée l’objectif d’organiser des corridors ferroviaires pour réduire les pollutions en son sein.

Références

  1. OCDE, Perspectives économiques de l’OCDE, Décembre 2020.
  2. UN Environment Programme’s, Green pandemic recovery essential to close climate action gap – UN Emissions Gap Report 2020
  3. Voir Geoffron P., Leguet B., Co-Bénéfices environnementaux et sanitaires de l’action publique : It’s (also) the economy, stupid!, I4CE- Terra Nova.
  4. Haut Conseil pour le Climat, Climat, santé : mieux prévenir, mieux guérir, avril 2020.
  5. Voir détails de l’évaluation in : Geoffron, P., Thirion, B., Les co-bénéfices du fret ferroviaire : éléments d’évaluation et propositions, Rapport d’analyse pour l’Alliance 4F (Fret Ferroviaire Français du Futur), juin 2020.
  6. Voir détails de l’évaluation in : Geoffron, P., Thirion, B., Les co-bénéfices du fret ferroviaire : éléments d’évaluation et propositions, Rapport d’analyse pour l’Alliance 4F (Fret Ferroviaire Français du Futur), juin 2020.

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