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Ouvrage | Covid-19 : regards croisés sur la crise

Les entreprises responsables sont-elles plus résilientes ?

9 mn - Le 01 mars 2021

La littérature académique semble s’accorder sur le fait que la responsabilité sociétale des entreprises leur permet de mieux traverser les crises. Les entreprises les plus responsables dégagent des performances boursières et opérationnelles meilleures que les autres durant les crises.

Cette surperformance s’explique par un climat de confiance entre les parties prenantes, des consommateurs plus fidèles et des salariés plus productifs durant les périodes perturbées.

Dans une vision néoclassique, la maximation des profits est l’objectif ultime de l’entreprise, qui n’a pas à se préoccuper de l’environnement, du bien-être des salariés ou encore des citoyens de façon générale. Dans ce contexte qui oppose actionnaires et parties prenantes, toutes les dépenses liées à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ne sont que des coûts d’agence, c’est-à-dire des dépenses faites au détriment des actionnaires et en faveur des autres parties prenantes de l’entreprise, salariés, consommateurs et fournisseurs. Les investisseurs socialement responsables, de plus en plus nombreux, adoptent une position différente. Pour eux, la responsabilité sociétale des entreprises, qui vise la maximisation de la valeur pour toutes les parties prenantes, peut également être bonne pour les actionnaires, dans une convergence d’intérêt entre les parties prenantes et les pourvoyeurs de capitaux. De nombreuses études académiques se sont intéressées à l’impact de la RSE sur les performances de l’entreprise, avec des résultats parfois divergents selon les périodes et les contextes institutionnels. Si l’impact RSE sur les performances des entreprises continue de faire débat, les résultats les plus saillants et les plus robustes sont ceux qui se focalisent sur les périodes de crise et qui montrent que les dépenses RSE aident à mieux les traverser. Deux périodes de crise permettent de mettre à l’épreuve les entreprises responsables, d’observer leurs performances boursières, obligataires et opérationnelles, et d’avancer quelques explications : la crise de la Covid-19 du printemps 2020, et la crise des subprimes de 2008.

Crises, rse et performances boursières

Plusieurs articles récents montrent que les caractéristiques de responsabilité sociale et environnementale ont permis aux entreprises d’avoir des performances boursières moins négatives durant la crise sanitaire de 2020. La plupart de ces études se concentrent sur la période février/mars 2020, durant laquelle les marchés boursiers ont connu une baisse inédite (jusqu’à -40 % pour le CAC40). Elles montrent toutes que les entreprises les moins endettées et qui détiennent plus de trésorerie ont vu le cours de leurs actions mieux résister. Mais la responsabilité sociale semble également freiner la baisse des cours. Celle-ci peut être mesurée de diverses manières. Plusieurs études1 utilisent des mesures RSE fournies par Asset4 (Thomson) et établissent que les performances RSE, aussi bien environnementales que sociales ont permis de limiter les baisses. Certaines estiment que ce sont les firmes les mieux notées sur les aspects environnementaux dont les cours ont le mieux résisté à la baisse toutes choses égales par ailleurs (+6 % sur la période de crise), tandis que d’autres soulignent que les scores RSE réduisent la volatilité des cours durant la période de crise.


Alternativement aux notes RSE des entreprises, il est possible d’utiliser des données massives pour examiner plus directement le sentiment du public à l’égard de la réponse de l’entreprise à la crise au printemps 20202. Les données utilisées sont celles de Truvalue Labs, qui applique l’apprentissage automatique et le traitement du langage naturel en onze langues pour évaluer le sentiment du public dans des milliers de sources d’information (médias traditionnels, blogs et publications professionnelles). Les entreprises qui sont plus à l’écoute de leurs fournisseurs pour garantir la pérennité de leurs approvisionnements, ou soucieuses du bien-être de leurs salariés ont des commentaires plus positifs dans ces sources d’information et donc un score plus élevé. L’étude est menée sur 3 023 entreprises de 19 pays. Les auteurs montrent un impact positif du score obtenu sur les performances boursières durant la crise.

La crise de 2020 est récente et les études qui s’y intéressent manquent de recul. D’autres études ont examiné la crise de 2008, pour laquelle il est possible d’avoir plus de données. Elles confirment les résultats présentés pour la crise de 20203 : les entreprises dont la notation RSE est élevée (quartile le plus élevé) surpassent les entreprises dont la notation RSE est faible (quartile le plus faible) pendant la crise de 2008 (Août 2008 - Mars 2009) de 5 à 7 %, toutes choses égales par ailleurs. Il n’y a pas de différence dans les performances des actions entre un haut et un bas niveau RSE pendant la période de reprise après la crise. Les performances boursières favorables des entreprises responsables durant les crises résultent-elles de performances opérationnelles supérieures ? La réponse est positive : les entreprises les mieux notées en matière RSE ont une performance opérationnelle pendant la crise de 13 % supérieure aux entreprises les moins bien notées, toutes choses égales par ailleurs.

Crises, rse et marché obligataire

Les prêteurs, banquiers et obligataires sont également particulièrement exposés durant les crises. Le sont-ils moins pour les entreprises responsables ? L’examen de la relation entre note RSE et spreads obligataires, qui mesurent le coût de la dette, ne conduit à aucun résultat significatif sur la totalité de la période 2005-2013. Cependant, durant la crise financière de 2008-2009, qui représente un choc pour la confiance et le risque de défaillance, les entreprises bien notées sur le plan de la RSE (celles qui ont des notes dans le quartile le plus haut) ont bénéficié de spreads obligataires plus faibles. Elles ont également bénéficié de meilleures notations de crédit, ont été en mesure de s’endetter davantage, et à des maturités plus longues4.

Quelles sont les raisons pour lesquelles les firmes responsables sont plus résilientes ?

La confiance

Une des explications de la surperformance des entreprises responsables est la confiance entre les parties prenantes qu’engendrent les dépenses RSE. Or la confiance est essentielle dans les échanges, et les ralentissements économiques dans le monde sont souvent le résultat d’un manque de confiance réciproque. De la même manière, les engagements RSE peuvent restaurer la confiance des parties prenantes dans leur entreprise, qui se trouve érodée durant les périodes de crise. L’étude référencée en note 3 constate ainsi que les rendements excédentaires durant la crise sont plus élevés pour les entreprises dont le siège social se trouve dans des régions où les individus font plus confiance. Ces résultats suggèrent que l’augmentation du capital social résultant des activités de RSE est importante principalement dans les périodes où la confiance dans les sociétés en général s’est érodée, alors qu’en temps normal, les avantages du capital social sont déjà intégrés dans le prix des actions d’une entreprise.

La fidélité des consommateurs

Si la performance opérationnelle des entreprises responsables est meilleure, comment l’expliquer ? Les entreprises avec les meilleures notes RSE dégagent des marges brutes supérieures à celles qui sont mal notées, et également une croissance du chiffre d’affaires plus importante. Ces résultats suggèrent que les clients sont plus fidèles aux entreprises plus responsables durant les périodes de crise.

Approfondissant la relation entre RSE et consommateurs, une autre recherche considère qu’une condition nécessaire pour que les dépenses liées à la RSE modifient le comportement du consommateur, et donc aient un impact sur la valeur de la firme, est que le consommateur soit conscient du comportement responsable de l’entreprise. Elle montre que les activités liées à la RSE ont un impact sur la valeur des entreprises qui font beaucoup de publicité et qui ont une réputation de « bon citoyen », mesurée par l’appartenance de la firme au classement du magazine « Fortune » des entreprises les plus admirées5.

La satisfaction des salariés

La satisfaction des salariés est également un facteur explicatif d’une meilleure résilience durant les crises. Les salariés des entreprises les plus orientées RSE sont plus productifs durant la crise. Dans l’étude précitée, le chiffre d’affaires par salarié des firmes dans le quartile supérieur des notes RSE est de 10 % supérieur à celui des firmes dans le quartile inférieur des notes RSE6. L’appartenance à la liste des « meilleures entreprises où travailler » a un impact positif sur les performances boursières, mais ce résultat est valide uniquement dans les pays où le marché du travail est flexible7. Enfin, utilisant des données administratives suédoises, une autre recherche montre que les salariés acceptent des salaires inférieurs de 10 à 20 % pour travailler dans des secteurs plus responsables8. Cet écart est le plus important pour les salariés les plus qualifiés et croît sur les périodes récentes, les générations Y et Z semblant particulièrement concernées. Les firmes responsables sont ainsi en mesure d’attirer et de fidéliser des talents pour lesquels les motivations non monétaires sont importantes, ce qui pourrait également contribuer à expliquer leur résilience.

Conclusion

La plupart des études académiques qui se sont penchées sur les performances des entreprises durant les crises montrent une nette avance des entreprises les plus responsables, tant sur le plan des performances boursières qu’opérationnelles. Les entreprises les plus responsables créent un climat de confiance entre les parties prenantes, qui en présence d’un choc, soutiennent l’entreprise. Les consommateurs s’avèrent plus fidèles et les salariés plus productifs, d’autant que ces derniers sont également plus souvent animés par des motivations non monétaires lorsqu’ils choisissent de travailler pour une entreprise responsable.

Notes & Références

  1. Voir Ding, Levine, Lin et Xie (2020), Garel et Petit-Romec (2020) et Albuquerque, Koskinen, Yang et Zhang (2020). Ces articles peuvent être trouvés sur le site www.ssrn.com
  2. Voir Cheema-Fox, Laperla, Serafeim, et Wang (2020), disponible sur www.ssrn.com
  3. Les données sont issues de Lins, Servaes et Tamayo (2017), Social capital, trust and firm performance: the value of corporate social responsibility during the financial crisis, Journal of Finance, 72, 1785-1824.
  4. Voir Amiraslani, Lins, Servaes et Tamayo (2019), Bond market benefits of corporate social capital, disponible sur www. ssrn.com
  5. Servaes et Tamayo (2013), disponible sur ssrn.
  6. Voir Lins et al (2017), cité en note 3.
  7. Voir Edmans, Li et Zhang (2020), disponible sur ssrn.
  8. Voir Kruger, Metzger et Wu (2020), disponible sur ssrn. 

Les auteurs