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Ouvrage | Covid-19 : regards croisés sur la crise

Verdir la relance économique : une approche réseau pour évaluer les potentielles émissions industrielles évitées

Publié dans Géopolitique, Droit, Société 9 mn - Le 01 mars 2021

Atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 est devenu une priorité majeure de l’Union Européenne. Suite à la crise de la Covid-19, le succès de cet objectif dépend en grande partie de la conception des plans de relance économique.

Dans une étude menée récemment, nous identifions les secteurs industriels qui, si les gouvernements ont l’ambition de découpler croissance économique et émissions de gaz à effet de serre, ne doivent pas bénéficier des stimuli de la relance. Nous procurons une quantification de ces effets en termes d’émissions évitées. Nos résultats suggèrent que la contraction d’activité du secteur minier, un important fournisseur d’intrants pour les secteurs très polluants, aurait des répercussions importantes sur les émissions une fois l’activité relancée. Nous identifions également les produits pétroliers raffinés, les produits chimiques et les activités électriques et gazières comme des industries critiques en aval. Verdir leur production permettrait de limiter les effets de rebond des GES dans les mois à venir.

Alors que la plupart des gouvernements européens ont mis en œuvre des plans de sauvetage (France, Allemagne, Italie, Espagne et Royaume-Uni), la Commission européenne a annoncé un budget supplémentaire de 750 Md pour soutenir les économies les plus touchées, soit un budget global de 1 100 Md pour 2021-2027. Si ce montant est nécessaire à la reprise des économies de l’UE, un plan de relance efficace à long terme doit cibler les secteurs capables de créer rapidement des emplois et de stimuler la production dans d’autres secteurs, alimentant ainsi la croissance du PIB (Allan et al., 2020)1. Entre autres, les secteurs ciblés doivent afficher des multiplicateurs économiques élevés à court et long termes, autrement dit un haut rendement par euro dépensé. Ces multiplicateurs tiennent compte des effets des dépenses (dépenses publiques, réductions d’impôts) dans le secteur spécifique (impact sur les revenus, la production), mais aussi des cycles de dépenses ultérieurs générés par les dépenses initiales dans d’autres activités de l’économie. Pendant et après la crise financière de 2008, les politiques expansionnistes axées sur les investissements à travers le prisme des multiplicateurs économiques ont été plus efficaces pour relancer l’activité économique que celles fondées sur l’austérité. Douze ans plus tard, la crise de la Covid-19 pousse à nouveau les décideurs à déterminer les secteurs clés sur lesquels concentrer les investissements, prenant en compte l’évolution des technologies, la nécessité de stimuler la croissance tout en garantissant la création d’emplois pour les années à venir.

D’un point de vue de la politique climatique, la seule prise en compte des multiplicateurs économiques ne garantit évidemment pas une transition vers une société carbone-neutre d’ici 2050. En effet, les plans de relance peuvent être « bruns » ou « verts » selon leur capacité à découpler les émissions de gaz à effets de serre (GES) de l’activité économique. Les secteurs présentant des multiplicateurs élevés peuvent être ceux qui agissent comme de grands émetteurs de GES, ce qui suggère une tension entre la croissance économique à court terme et les objectifs climatiques à long terme. Pour découpler croissance du PIB et émissions de GES, les gouvernements de l’U.E. peuvent bien entendu chercher à comprendre quels secteurs industriels sont à l’origine des émissions. Mais certaines industries à faible intensité d’émissions peuvent tout autant contribuer à réduire les émissions du système en limitant la fourniture d’intrants aux secteurs polluants en aval. Les gouvernements doivent être conscients de ces dynamiques intra-sectorielles. Notre travail a consisté à apporter des éclairages sur ces questions en proposant de mieux se saisir des interdépendances économiques intra-sectorielles et des dynamiques d’émissions qui en résultent.

Plus précisément, nous avons considéré le tissu industriel comme un système d’activités interagissant par la dynamique de l’offre et de la demande d’input / output. La production d’une industrie peut être utilisée directement comme intrants fournis à d’autres secteurs (e.g. la production du secteur minier). Une baisse de sa production diminue la production de cette activité et a un impact sur les secteurs en aval. Un tel mécanisme de contraction de la production en cascade affecte les émissions de GES (émissions de production). Si certaines études ont exploré les phénomènes de cascades économiques (e.g. information sur les marchés financiers, diffusion des risques dans le système bancaire), le thème des émissions industrielles n’a jamais été étudié dans une perspective systémique.

Ainsi, nous proposons une nouvelle analyse du processus par lequel la contraction de la production d’un secteur spécifique réduirait l’utilisation d’intrants dans d’autres secteurs, entraînant une baisse des émissions associées. Dans le contexte des plans de relance Covid-19, cette approche est particulièrement pertinente car les chaînes d’approvisionnement ont été sévèrement touchées par les restrictions gouvernementales. Alors que les gouvernements mettront en œuvre des mesures de stimulation économique pour garantir des niveaux d’approvisionnement élevés et relancer l’activité, notre recherche identifie les secteurs qui ne devraient pas bénéficier des plans de relance - sans contrepartie environnementale - et quantifie les impacts d’une telle décision délibérée sur les émissions (émissions évitées). Ces nouveaux résultats permettent aux décideurs de tenir compte des émissions « évitées » lors de la conception de mesures de relance. Nous utilisons pour cela les données disponibles pour cinq pays européens touchés par la pandémie (France, Allemagne, Italie, Pologne et Espagne).

Premièrement, nous faisons appel au concept d’entrées-sorties pour dériver des matrices économiques nationales de multiplicateurs d’émissions, incluant l’ensemble des activités des secteurs productifs industriels. Ces multiplicateurs saisissent la quantité d’émissions qui est réduite dans un secteur en raison d’une diminution unitaire des intrants primaires utilisés par un autre, en considérant à la fois les effets directs et indirects. Ce faisant, nous identifions les industries les plus susceptibles de déclencher des cascades de réduction des émissions et celles qui sont les plus exposées à une augmentation des émissions internes de GES par le biais d’un autre secteur. La nouveauté de notre analyse consiste à maintenir une perspective systémique de l’économie et à étudier les canaux de transmission des réductions d’émissions (cascades d’émissions). Au-delà de l’identification des secteurs agissant comme leader des émissions industrielles, notre étude procure une estimation quantitative de ces interactions intersectorielles. Cette quantification permet une évaluation potentielle des émissions évitées suivant la mise en place de plans de relance bruns ou verts.

Quel que soit le système économique, nous soulignons notamment comment l’exploitation minière et les produits pétroliers raffinés ainsi que l’électricité et le gaz figurent parmi les secteurs qui ont les plus grands multiplicateurs d’émissions. Une baisse de leur activité entraîne la plus forte réduction des émissions dans le système industriel. Toutes choses égales par ailleurs, les plans de relance verts devraient garantir que leur activité ne repartira pas sans engager de profondes mutations. À l’inverse, les industries du pétrole raffiné, des métaux de base, l’électricité et du gaz sont les plus exposées à une dynamique de contraction des émissions. Toutes ces activités ont des impacts divers en termes de réduction d’émissions de GES, ce qui suggère différentes stratégies de plans de relance nationales.

Par la suite, nous concentrons notre étude sur l’industrie minière afin d’étudier les canaux les plus pertinents des cascades sectorielles qui peuvent être évitées. Ce faisant, nous sommes en mesure d’évaluer le rôle des secteurs à forte intensité énergétique tels que les produits pétroliers raffinés, les métaux de base, l’électricité et le gaz dans le processus en cascade. Bien que les pays présentent des dynamiques de cascades différentes selon la particularité de leur structure industrielle, certaines tendances se dégagent. D’une part, les métaux de base, la fabrication de produits pétroliers raffinés ainsi que l’électricité et le gaz sont les activités les plus exposées à une baisse des émissions par une contraction de la production dans le secteur minier. D’autre part, les produits chimiques et pharmaceutiques ainsi que la fabrication d’autres produits minéraux non-métalliques sont très présents dans le troisième cercle du processus de cascades. Ces résultats suggèrent que l’abandon de l’exploitation minière aurait des répercussions non seulement sur les émissions, mais qu’il aurait également des effets économiques sur d’autres secteurs en aval, complétant ainsi la littérature florissante sur les actifs à risque en raison d’une transition vers une économie décarbonnée (Creti et de Perthuis, 20192).

Dans les mois à venir, les gouvernements de l’UE introduiront les plans de relance économique Covid-19. Ces plans détermineront la prospérité future de l’UE et notre capacité à atteindre les objectifs environnementaux récemment fixés dans le Green Deal. Les industries à forte intensité d’émissions auront une contribution particulière à apporter mais les aides devront être conditionnées à une limitation des émissions de GES à l’avenir.

Le passage des technologies à forte intensité carbone à celles à faible intensité carbone est devenu un enjeu majeur au cours des dernières années. Bien que les déclarations officielles puissent stimuler la dynamique sectorielle (par exemple, les investissements privés), les obstacles au déploiement à grande échelle des renouvelables sont restés importants (capacité de stockage, infrastructures énergétiques). Dans le sillage des incitations publiques actuelles visant à promouvoir le déploiement des RE, les prochaines mesures de relance verte devront élargir la portée des secteurs ciblés et s’attaquer à ces obstacles. Des mesures telles que le soutien public à la R&D et la coopération transfrontalière de l’UE pourraient cibler les technologies qui complètent les énergies renouvelables (stockage, réseaux intelligents, interconnexions). Ces dernières garantiraient l’existence de capacités permettant de faciliter la décarbonisation des industries situées plus en aval (mobilité, chauffage).

D’un point de vue économique, la pandémie se déroule dans un environnement politique qui offre de grands avantages à une conception écologique des plans de relance. À court terme, les mesures d’une relance verte sont économiquement avantageuses par rapport aux mesures d’une relance budgétaire traditionnelle, ce qui permet de créer un plus grand nombre d’emplois. À long terme, ces investissements publics offrent des rendements élevés en réduisant les coûts de la transition vers les énergies propres. Alors que les taux de chômage dans les économies de l’UE devraient s’envoler en 2021, il est essentiel de tenir compte de ces dimensions lors de l’élaboration de mesures de relance.

Références

  1. Allan, J., Donovan, C., Ekins, P., Gambhir, A., Hepburn, C., Robins, N., Reay, D., Shuckburgh E., and Zenghelis, D. (2020). "A net-zero emissions economic recovery from Covid-19". Smith School, Working Paper 20-01.
  2. Creti, A., de Perthuis, C. (2019). Stranded Assets and the Low-carbon Revolution: Myth or Reality ? IAEE Energy Forum / Fourth Quarter.

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